TOP Jeunesse 2014

Puisque nous sommes au mois de Janvier, un petit bilan est d’actualité. Je vous présente mon TOP DIX 2014 en matière de lecture jeunesse*. À rebours, pour ménager le suspense !

  • N°10 — Le temps n’est rien, d’Audrey Niffenegger (2003, Michel Lafon 2005)

audrey niffenegger le temps n'est rienC’est l’histoire d’un homme qui ne vit pas dans l’ordre — ou plutôt, qui connaît des épisodes anachroniques comme d’autres font des crises d’épilepsie. Henry se déplace dans le passé ou l’avenir à l’improviste, mais toujours, ou presque, il y retrouve Claire, l’amour de sa vie. Elle a alors, cinq, vingt, trente, ou douze ans, et bien qu’elle le suive dans le désordre, finalement, c’est elle qui le guide. Un roman excellemment articulé, joliment raconté, qui part d’un postulat intrigant et le traite avec grâce.

Dans le même genre

Si vous avez lu Le temps n’est rien (et qu’il vous a plu), il y a quelque chose qui me semble tout à fait du même genre dans le rayon jeunesse, ici et maintenant ann brashares la traversée du tempsactuellement, c’est Ici et maintenant, d’Ann Brashares (2014, Gallimard Jeunesse 2014), auquel je vous invite à jeter un œil (je ne l’ai pas encore lu). Mais sinon, sur cette même thématique, je vous recommande chaudement (bien que ce ne soit pas un livre) La traversée du temps, de Mamoru Hosoda (2006), animé japonais absolument génial, et plutôt élégant.

  • N°9 — La trilogie des jumeaux, tome 1 : Le grand cahier, d’Agota Kristoff (Seuil, 1986, réédition La Martinière, Points 2014)

le grand cahier agora kristofIls sont deux corps mais une seule âme. Les jumeaux sont déposés par leur mère chez « La vieille » à l’aube de la guerre, on n’en sait guère plus. La vieille a le sale caractère de ses colères rentrées, de sa vie d’accusée, de sa campagne isolée : c’est une bête hargneuse, et elle les déteste instantanément. Sauf que les jumeaux ont le cuir dur. Chaque jour, et à chaque nouvelle expérience, ils s’entraînent à résister aux coups. Les coups du sort, les abandons, les trahisons, les injustices, les larmes, la violence, la faim, le froid. Ils font toutes sortes d’exercice pour s’y accoutumer. On les croit fous, on les sent dangereux. Le sont-ils ? Quel est leur projet ?

Cette lecture est une drôle de claque, un peu malsaine, qui se finirait en caresse. C’est Le Petit Prince s’en-va-t-en-guerre, c’est Matilda construit une bombe. C’est la brutalité des villes arrières pendant la guerre, vécue par des petits gars au cœur tendre qui préfèrent donner les coups plutôt que les prendre.

Dans le même genrevipère au poing hervé basin no pasaran christian lehmann la voleuse de livres markus zusak

En matière de colère rentrée et de conflit familial old-school, je ne saurais trop conseiller Vipère au poing, d’Hervé Bazin (Grasset 1948, réédition Hachette Le livre de poche 1990), que j’ai relu toute mon adolescence. Et en terme de roman décalé sur le traitement de la guerre et les comportements qu’elle fait naître, je recommande le très bon No pasarán (tome 1 : No pasarán, le jeu), de Christian Lehmann (L’École des Loisirs, 1996-2012). Sinon, toujours dans cette théma, j’ai bien envie de lire La voleuse de livres, de Markus Zusak (2005, Oh Éditions 2007) qui m’attend depuis un certain temps dans ma PAL.

  • N°8 — L’histoire de Pi, de Yann Martel (2001, Gallimard 2001)

l'histoire de pi yann martelPi, surnom habile de l’impossible « Piscine Molitor », ainsi prénommé par son oncle fétichiste de la natation, est un jeune indien de Pondichéry qui s’interroge sur la vie, la religion, et le reste. Il grandit dans le zoo familial. Lorsque le zoo doit déménager à l’autre bout du monde, et se retrouve pris dans la tempête qui causera le naufrage de tout l’étonnant cargo, Pi, adolescent chanceux s’il en est, se retrouve écrasé au fond de l’un de ses immenses canots de sauvetage, avec pour compagnie un magnifique tigre du Bengale. Le roman compte deux temps, absolument aussi bluffants l’un que l’autre : le premier, sur la vie de Pi à Pondichéry est une merveille d’exotisme et d’humour, quand le deuxième, sur la survie de Pi et de Richard Parker (le tigre) au milieu de l’Océan Pacifique, est une odyssée de survie à la fois réaliste et fantastique. C’est, en outre, très bien écrit.

Dans le même genrecroc-blanc jack london le royaume de censure michael morpugo

Impossible de trouver dans ma bibliothèque mentale un exemple qui mêle les deux aspects évoqués ci-dessus ; je vous renvoie donc à quelques merveilles odysséesques de la littérature jeunesse : Croc-Blanc, de Jack London (1906, Georges Crès 1923, réédition Hachette Le livre de poche 1995) pour ceux qui voudraient retrouver le goût de la survie animale, et Le royaume de Kensuke, de Michael Morpugo (1999, Gallimard Jeunesse 2000), pour ceux qui voudraient réexplorer la Robinsonnade poétique d’un garçon perdu sur une île déserte, et qui se découvre un compagnon inattendu.

  • N°7 — Princess Bride, de William Goldman (1973, Bragelonne 2004)

princess brideL’intérêt premier de ce livre est qu’il est drôlissime — mais pourquoi, comment ? C’est un conte satirique bourré de second degré, qui se lit comme se regarde Astérix Mission Cléopâtre : avec de nouvelles blagues à chaque nouveau passage, certaines pour les petits, d’autres pour les plus grands. C’est l’histoire de Buttercup (ou Bouton-d’Or), la plus jolie fille du monde, dont Westley, le garçon de ferme, est amoureux, mais qui se fera enlever par l’épouvantable prince Humperdick. Et l’intérêt second (signe d’une démarche subtile et très réussie), c’est qu’il s’agit d’une superbe aventure. On y retrouve tous les codes du conte, sans perdre le bénéfice du regard décalé de l’auteur moderne ; on profite de la satire, sans perdre le merveilleux de la fable immémoriale. Bref : c’est au poil.

Dans le même genrestardust neil gaiman de bons présages terry pratchett le guide du voyageur galactique douglas adams

Dans un genre tout à fait voisin, je vous conseille Stardust, de Neil Gaiman (1999, J’ai Lu 2001, version roman graphique chez Panini Comics / Vertigo 2007), une autre aventure médiévalo-magique jolie et drôle porté par l’inimitable Neil Gaiman, spécialiste des univers parallèles que l’on croirait toucher du doigt. Pour rester dans le style humoristique, je vous recommande aussi De bons présages, de Neil Gaiman & Terry Pratchett (1990, J’ai Lu 1995, réédition de 2014), où l’Apocalypse est quelque peu compliquée à mettre en place, et pour finir, Le guide du voyageur galactique, de Douglas Adams (1979, Gallimard Folio SF 1982), où de toute façon la Terre est détruite dans les premières pages, donc on est forcé de prendre un peu de perspective.

  • N°6 — L’orange mécanique, d’Anthony Burgess (1962, Robert Laffont 1972 réédition France Loisirs 2012)

orange mécanique anthony burgessSi la narration est un chouilla vieillie (mais moins que l’adaptation cinématographique), ce roman reste la dystopie adolescente la plus étonnante et la plus détonante du genre. Dans une langue rétrofuturiste qui semble le mariage bâtard du verlan adolescent et d’une influence bolchevique, Alex et ses drougs nous emmènent dans leurs nuits sauvages. Alex a quatorze ans, c’est un garçon incompris de ses parents, mais ses divertissements sont des provocations disproportionnées à l’ordre social. Il agresse, il vole, il détruit, il viole, tout cela avec la plus déroutante gaminerie. Attrapé et envoyé dans une sorte de centre de redressement expérimental, Alex subit un traitement violent qui le rend allergique à ses anciens comportements : la violence le rend malade. Ainsi dénaturé, il est rendu au monde…

L’orange mécanique est une lecture fascinante et puissante, par sa langue, et par son étude des modifications comportementales. C’est, aussi, l’histoire d’un adolescent qui grandit.

Dans le même genrebrett easton ellis moins que zéro aldous huxley le meilleur des mondes uglies scott westerfeld

Pour un autre adolescent paumé qui baigne dans le sexe, la drogue et le rock’n roll la violence : Moins que zéro, de Bret Easton Ellis (1985, Christian Bourgeois 1986) est une lecture qui, si elle me semble assez vaine aujourd’hui, m’a pourtant fascinée lorsque j’avais quatorze ans. En matière de manipulation comportementale dystopique, je vous recommande le génial et fondamental Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley (1932, Plon 1932, réédition Pocket 2002) et, en plus moderne, Uglies, de Scott Westerfeld (2007-2008, Pocket Jeunesse 2007-2008), une dystopie d’aventure ultra-moderne critiquant joliment la société de consommation.

l'océan au bout du chemin neil gaimanUn petit garçon reprend vie dans la mémoire d’un homme revenu sur les lieux de son enfance, et avec lui, les monstres de ses dix ans réapparaissent. Un jour qu’un type bizarre était venu mourir d’un accident sur la route devant chez lui, le garçon avait commencé à remarquer des évènements inhabituels dans le village. Des petites choses bizarres qui avaient tout de la sorcellerie, du vaudou, de la magie d’un esprit inapaisé. Il se retrouve à partir en forêt avec son étrange petite voisine, qui lui promet de résoudre le problème en allant, finalement, négocier avec l’esprit. Mais l’aventure ne se déroule pas comme prévu, et un monstre se glisse à l’intérieur du petit garçon, le suit jusque chez lui, et entreprend de dévorer sa vie, retournant toute sa famille contre lui. Un conte trouble, où les frontières de la mémoire jouent un jeu doux-amer.

Dans le même genreneil gaiman l'trange vie de nobody owens les neuf vies du magicien diana wynne jones le cirque des rêves erin morgenstern

Pour retrouver le monde fantomatique de Neil Gaiman, à la fois tendre et angoissant, plongez vous donc dans L’étrange vie de Nobody Owens, de Neil Gaiman (2008, Albin Michel 2009). Dans un genre plus old-school, où le petit héros voyage dans ses rêves et porte pourtant, au réveil, les stigmates de ses aventures nocturnes, Les neufs vies de Chrestomanci, de Diana Wynne Jones (1988, Gallimard Jeunesse 1998), est une superbe histoire sur le fil. Enfin dans le genre onirique, je vous recommande vivement Le cirque des rêves, d’Erin Morgenstern (2011, Flammarion 2013), où nous suivons Célia et Marco, deux orphelins pris chacun sous la coupelle d’un vrai magicien qui se fait passer pour un très bon prestidigitateur, et préparés des années durant à une sorte de duel mystérieux…

tant que nous sommes vivantsL’histoire d’un aller-retour en deux générations, Tant que nous sommes vivants est une quête indicible de soi, entamée par Bo et Hama.

 Bo et Hama sont deux jeunes gens amoureux, contraints de fuir leur village vers le monde inconnu et les souvenirs ancestraux et mystérieux qu’il fait renaître. On frôle le fantastique sans trop savoir le nommer.
 Un très bon livre, délivré par une plume limpide et incisive. J’ai fait une belle découverte avec Anne-Laure Bondoux.

Dans le même genrele combat d'hiver jean-claude mourlevat

La poésie capiteuse de cet univers à la foix réel et exotique me rappelle le merveilleux qui prend habituellement naissance sous la plume de Jean-Claude Mourlevat. Je vous conseille donc Le combat d’hiver, de Jean-Claude Mourlevat (Gallimard Jeunesse 2006), une magnifique lutte libertaire portée par des adolescents qui partent dans un voyage entrepris pour gagner le combat perdus par leurs parents à la génération précédente.

  • N°3 — L’Atlantide, de Pierre Benoît (Albin Michel 1919, réédition France Loisirs 2012)

l'atlantide pierre benoîtC’est la surprise de mon année : partie sur un a priori prudent, connaissant le traitement très superficiel de l’aventure, du genre « Un déjeuner Mondain chez Madame Trucmuche »**, typique de l’époque, je me suis, page à page, laissée séduire par L’Atlantide de Benoît, qui nous présente cette épopée berbère mystérieuse comme une plausibilité scientifique. À la frontière de la mythologie et de l’exploration orientaliste, nous découvrons avec les officiers Morhange et de Saint-Avit le royaume perdu de l’Atlantide, et sa fascinante reine, Antinéa…

Dans le même genrele comte de monte-cristo dumas aziyadé benoît

Avec un style infiniment plus moderne, bien qu’un demi-siècle plus éloigné de nous que Benoît, je vous conseille la machination duodécennale d’Edmond Dantès dans Le comte de Monte-Cristo, d’Alexandre Dumas (1844-1846, réédition Gallimard 1998). On y retrouve un certain exotisme, la thématique de la vengeance, et les relations de fascinations, de haine, et de pouvoir, instaurées insidieusement entre les personnages, sont superbement rendues. Dans un genre plus littéraire, au style descriptif langoureux comme le flux et le reflux de la marée sous la lune, je vous conseille aussi l’oriental Aziyadé, de Pierre Loti (Calmann-Lévy 1879, réédition Gallimard 1991), mais ce dernier titre est moins accessible à la jeunesse.

théorème des katherine john greenLe théorème des Katherine, c’est l’histoire d’un garçon trop intelligent pour son propre bien, persuadé qu’il n’arrivera, finalement, à rien, et que son auto-analyse perpétuelle lui a coûté sa dix-neuvième petite amie — sa dix-neuvième Katherine. Colin est malheureux comme les pierres, et paumé. Il s’embarque donc dans la quête de son Eurêka, la découverte qui fera de lui un vrai génie, et pour que se changer les idées, part, avec son meilleur-ami, pour un road-trip délirant. Une quête identitaire subtile et très drôle, où l’on se demande si l’on est qui l’on paraît être, et pourquoi l’on s’évertue à paraître être ce que l’on n’est pas.

Dans le même genrenos étoiles contraires la face cachée de margo john green

Pour qui aurait aimé Le Théorème des Katherine, je recommande évidemment tous les John Green, mais plus particulièrement Nos étoiles contraires, de John Green (2012, Nathan 2013), dans lequel on retrouve les interrogations de Colin dans celles d’Augustus : quelle trace de soi laisse-t-on si l’on n’accomplit rien ? Et je vous recommande encore La face cachée de Margo, de John Green (2008, Gallimard Jeunesse 2009), où la géniale Margo, star de l’école, n’est pas si éloignée de l’improbable Lindsey, chacune ayant construit son personnage social et s’interrogeant sur le caractère réversible de son identité.

le livre de perle timothée de fombelleUne merveille absolue que cette lecture où la réalité flirte constamment avec le conte de fée. Ce livre est d’une douceur et d’une beauté délicieuses. 

Iliån, prince exilé par les forces mauvaises de son royaume, se retrouve dans notre monde au seuil de la deuxième guerre mondiale. Un enfant perdu, bon et mystérieux : il est recueilli par les Perle, un couple de pâtissiers juifs ayant le coeur sur la main.

 Mais Iliån n’aura de cesse de retrouver le pays des contes d’où il vient. Et pour cela, il devra en quêter les traces les plus merveilleuses dans notre monde qui a cessé d’y croire.

Dans le même genrel'histoire sans fin michael en de les royaumes du nord à la croisée des mondes philip pullman le journal secret du petit poucet rebecca dautremer

Où retrouver la sensation fantastique de plonger dans un livre qui, à son tour, nous fait franchir une deuxième porte vers un monde fantastique, sinon dans L’histoire sans fin, de Michael Ende (1974, réédition Hachette 2014) ? Pour autant, passer d’un monde à l’autre dans un univers riche, bouillonnant de voyages improbables et de quêtes inquiétantes, et tout cela sous une plume miraculeuse, est le propre d’À la croisée des mondes, de Philip Pullman (1995-2000, Gallimard Jeunesse 1998-2001). Sinon, pour un autre émerveillement doux et chaleureux inspiré des contes de notre enfance, je vous recommande d’ouvrir le très beau Journal secret du Petit Poucet, réécriture et illustration par Philippe Lechermeier et Rebecca Dautremer (Gautier-Languereau 2009).

Un joli bilan pour cette année 2014 !

Bonne lecture 🙂

Lupiot

Lupiot Allez Vous Faire Lire


* C’est-à-dire, le classement de mes dix lectures préférées de l’année pouvant être classées jeunesse,l'histoire de pi yann martel gallimard folio junior ou en tout cas être appréciées par les clients habituels du rayon. Par exemple, Le temps n’est rien est généralement rangé en SF ou Littérature Blanche mais pourrait être installé sur les tables de libraires à côté d’Eléanor & Park, à mes yeux. De même, L’histoire de Pi fait totalement partie de la littérature crossover, comme en témoigne sa double édition (avec couvertures différentes) en folio et folio junior.
** D’ailleurs, chez Benoît, je n’ai pas un appétit immesuré pour ses autres titres comme Mademoiselle de la Ferté ou Le Déjeuner de Sousceyrac, qui me semblent totalement rentrer dans le cliché de la production de l’époque.

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