Êtes-vous prêts… pour un enchantement ?
Non, parce que je ne voudrais pas vous prendre par surprise. Autant qu’une image choquante peut rester longtemps scotchée à la rétine, un ravissement peut faire décoller du sol à un moment tout à fait inopportun.
Aussi, je préfère prévenir.
Le Bois Dormait, de Rébecca Dautremer
Trigger warning : beauté sublime
Bon, je vous vois venir « Ah, mais Rébecca Dautremer, je connais ! » Commençons par là : quand on sait déjà que c’est beau, on se montre parfois moins attentif, et c’est un tort. On risque de manquer le murmure qui s’échappe — d’avoir tourné la page trop vite. Aussi, j’espère vous donner envie de bien regarder cet album…
Pourquoi est-ce beau ?
On retrouve l’univers esthétique de Rébecca Dautremer, dans ses couleurs chatoyantes et sa poésie intimiste. Vous reconnaîtrez :
- les couleurs orientales, avec ces dominantes de rouges relevés par du turquoise ;
- ces yeux en amande, ces visages ovales, ces mouvements des corps aux formes arrondies ;
- cette délicatesse assez typique des estampes et tapisseries sino-japonaises.
Mais il y a aussi une saveur old-school enchanteresse à cet album. Ça passe par de petits détails, comme le fait que le texte soit sous les pieds des personnages, à l’ancienne (et non dans des bulles)…
…mais aussi par de plus gros hommages, comme celui que je perçois à Little Nemo.
Little Nemo de Winsor McCay est une bande-dessinée née en 1905 (l’une des toute premières, donc). Les petits personnages du narrateur et de son compagnon y font irrésistiblement penser :
- par le style de dessin, le trait adopté ;
- par les costumes, pleins d’une fantaisie médiévale ;
- par l’aspect BD, of course, de ces cases invisibles qui font évoluer nos personnages sur la page de gauche ;
- par le thème du sommeil et du rêve !
Dans Little Nemo, le principe, c’est que chaque strip commence par Nemo qui s’embarque dans un rêve/aventure, et s’achève par Nemo qui se réveille, souvent en tombant de son lit.

(Si vous ne connaissez pas Ohmigod je suis trop contente pour vous ça va être un vrai bonheur à découvrir.)
Ici, le narrateur observe des personnages endormis, qui sont dans un autre univers (couleurs et style de dessin différents, opposition entre les pages de gauche et celles de droites).
Or, à la fin de l’album, le compagnon du narrateur « plonge » dans cet autre univers, passant à son tour en couleurs, page de droite. Comme Little Nemo plongeant dans ses rêves ! Ce thème est trop chouette parce que, personnellement, je me demande si le « Bois endormi » est bien le monde du rêve (ce serait évident), ou si, au contraire, c’est l’univers blanc du narrateur (qui ressemble tant à un personnage de Winsor McCay). Auquel cas le prince ne quitte pas la réalité pour le rêve, mais quitte bien un espace de songe pour entrer dans un espace de vie, ce qui colle avec la symbolique du réveil et avec ce petit morceau de texte, là :
La saveur old-school de cet album tient aussi à la réécriture de conte qu’il propose. Parmi les nombreuses réécritures de contes que l’on trouve en librairie, il y en a beaucoup, sans doute, qui ont des approches intéressantes. (M’enfin pas toutes, faut le reconnaître.) Ici, c’est le cas.
Ce qui est sympa par exemple, c’est que, comme chez Perrault, nous sommes vraiment du point de vu du conteur. Ça tient à de minuscules astuces :
- Côté texte :
Perrault, dans sa Belle au bois dormant, cale régulièrement des propositions incidentes, ces petites interventions du narrateur dans l’histoire. On trouve des clins d’œil humoristiques sous diverses formes.
Exemple :
Le Prince aida à la Princesse à se lever; elle était tout habillée et fort magnifiquement ; mais il se garda bien de lui dire qu’elle était habillée comme ma mère-grand.
On trouve le même ton de remise en question de l’histoire dans l’album, comme ici :
- Côté image :
#1. La hauteur de vue : nous voyons les endormis depuis la hauteur du (petit) narrateur, clairement pas depuis celle du prince (grand, longiligne, menton penché), ni depuis un angle autre qui serait omniscient.
#2. L’effet fish-eye (terme que le français traduit par « objectif hypergone », dans sa tendance habituelle à en faire des caisses).
L’effet fish-eye, c’est cette distorsion arrondie sur les bords de l’image, qui nous donne l’impression d’un regard à la fois distant (comme par le prisme d’une caméra) mais aussi incarné, car on est dans l’œil du narrateur, voyez :
Donc c’est beau, rêveur, languissant. Doucement drôle, pianissimo. Et dans sa candeur, ça n’oublie pas d’être habile et technique. Le scalpel au service de la poésie.
Et puis cette élégance elliptique sur la fin, moi j’aime beaucoup. Le prince réveille la belle endormie — suppose-t-on. Mais le baiser est laissé à notre imagination.
Vous ai-je donné envie d’aller le regarder de plus près ?
(J’espère j’espère.)
L’album sort aujourd’hui, le 2 novembre 2016.
Bonne lecture,
Le Bois dormait, de Rébecca Dautremer, Sarbacane, 2016, 64 pages
Et tu me dis ça le jour où je dois passer en librairie faire quelques achats ? tsss.
Ça a l’air si beau ! *__*
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Il est magnifique *o*
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Je l’ai vu, je l’ai lu, je l’ai voulu.
Mais je ne l’ai pas pris (encore).
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Quelle force mentale.
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Oh que oui tu m’as donné envie =D
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Double super !! 😀
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Voilà un ptit’ bout d’bouquin qui n’a pas tardé à rejoindre ma wishlist d Noël ❤
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Mon Dieu je le veux ! ne serait-ce qu’avec cette magnifique couverture !!
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OUI. Les couleurs sont MAGNIFIQUES.
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Mais que de beauté *.*
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Et encore, tu n’as rien vu *o*
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Ben oui !! Quelle question ! Peut-on ne pas avoir envie ne serait-ce que de feuilleter cet album après avoir lu cet article ?? Je ne crois pas. (Oui, je sais, je fais les questions et les réponses et ça ne se fait pas. Tant pis.) 😉
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Haha, je ne t’en tiens pas rigueur ! Merci 🙂
J’espère que tu vas courir le découvrir. C’t’une merveille.
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Ouaouh, quelle belle analyse ! Je débute dans les miennes pour les albums jeunesse (via un master) et des articles comme le vôtre m’aident beaucoup. Alors merci ! Je ne connaissais pas du tout l’effet fish-eye 🙂 J’ai également adoré ce livre, de toute beauté !
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