(Relecture) Trilogie À la croisée des mondes, de Philip Pullman (1995-2000)

Cela fait plusieurs fois qu’on vous recommande Les Royaumes du Nord, sur Allez Vous Faire Lire, mais on n’a jamais pris la peine de vous le présenter en bonne et due forme. Parce que, pour ça, il faudrait relire toute la trilogie. Et bien Bloup l’a fait, et voilà sa critique.

Je me demande souvent quelle aurait été ma vie sans Harry Potter. Mais, si notre déesse JKR n’avait jamais publié cette histoire de petit sorcier à lunettes, mon imaginaire se serait indubitablement forgé autour de la trilogie, pardon, la Bible À la croisée des Mondes de Philip Pullman, découverte à la même époque.

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À la croisée des Mondes est une trilogie parue en version française en 1998, chez Gallimard Jeunesse :

Les royaumes du Nord raconte l’histoire de la jeune Lyra et de son dæmon (prononcé « démon ») Pantalaimon à la poursuite d’enleveurs d’enfants et d’un secret bien plus grand qu’elle, la mystérieuse Poussière. Mais Lyra ignore qu’elle est en fait l’objet d’une vieille prophétie et que son rôle à jouer dans « la croisée des mondes » (a.k.a. la quête des mondes parallèles) ne fait que commencer.

La tour des Anges introduit le personnage la tour des anges pullman folio juniorde Will, un garçon de notre monde qui va, par un malheureux concours de circonstances, franchir une fenêtre vers un autre monde… où il fait la connaissance de Lyra. Les deux enfants s’aident mutuellement dans leurs quêtes respectives avant de comprendre que celles-ci sont liées et que le danger qui les poursuit ne menace pas qu’eux, mais un équilibre global.

Le miroir d’Ambre clôt magistralement l’œuvre miroir d'ambre pullman 3 folio juniorde Pullman. La Poussière semble livrer peu à peu ses secrets et différents idéaux religieux s’organisent dans un combat philosophique qui risque de chambouler à jamais l’ordre des choses. Alors qu’il est temps de choisir un camp dans la guerre imminente, Will et Lyra devront passer par le monde des morts pour découvrir la vérité, tandis qu’autour d’eux, tout les mondes s’affrontent. Qui survivra pour imposer sa vérité aux mondes découverts ?

Pourquoi faut-il lire cette trilogie ?

  • Une véritable métaphore du passage à l’âge adulte

L’auteur n’épargne aucun thème sensible : la mort, la maladie, la religion, l’amour, la perfidie, la couardise, l’abandon, le sacrifice et, bien sûr, le courage.

books contain murder

Le schéma classique de roman d’initiation est respecté : guidée par quelques adultes (hauts en couleur : cf. plus bas), Lyra apprend de ses erreurs et finit par faire des choix responsables. Elle en bave bien sur le chemin, mais elle n’est pas la seule : presque tous les personnages ont, à un moment ou à un autre, un petit moment de remise en question après une épreuve.

  • De l’originalité à chaque coin de page

Des ours en armure (qui parlent), un roi gitan, des sorcières du Grand Nord, des anges en mal de chair… L’imagination de l’auteur est notamment très riche en créatures inédites ou revisitées (Spectres, Gallivespiens, Mulefas…) . Mais, ce qui fait la grande particularité de la trilogie, sa saveur inoubliable, ce sont les dæmons.

lyra et son dæmon

Le dæmon naît de nous et nous suit partout. Lié à nous comme un morceau de notre âme, il emprunte une forme animale qui change de forme à volonté jusqu’à l’adolescence de « son » humain. J’ai toujours trouvé l’idée d’intéragir avec une partie de soi extérieure à son corps fabuleuse. Ce n’est pas le seul exemple dans la littérature (pour n’en citer qu’un, voir Le château des Ferrailleurs), mais également dans notre vie quotidienne, où l’on cherche à s’identifier à quelque chose de symbolique. Du Totem amérindien aux tests « Quelle princesse Disney êtes-vous ? », il y a une myriade d’occasions pour aider l’individu à se comprendre lui-même. C’est là la force du dæmon de Pullman : dans le monde de Lyra, l’âme est déjà exposée aux yeux de tous, les enjeux de l’histoire sont donc différents.*

  • Une narration époustouflante

De surprise en surprise, la lecture apporte son lot d’émotions, notamment à la fin de chaque tome. Si je ne devais choisir qu’un seul adjectif pour chaque fin, sans tout dévoiler : brutale (tome 1) triste (tome 2) onirique (tome 3). Le style est une merveille. Au niveau de la construction, rien n’est laissé au hasard, chaque détail prend son importance et sa résonance au fil du récit, sous nos petits yeux ravis. Mais surtout, l’évolution des personnages et de leurs relations est LA raison pour laquelle cette trilogie est l’une des plus intelligentes du genre.

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  • Des personnages fascinants

Les gitans (qui voyagent à dos de péniche jusque dans les marais des contrées les plus reculées), Iorek (un ours alcoolique en exil), Lee Scoresby (un explorateur en ballon), Balthamos (un ange en errance), Mary Malone (une scientifique curieuse et prête à l’aventure)…

Impossible de citer tous les formidables personnages secondaires sans qui rien n’aurait été possible. Ils font la richesse et le côté un peu plus adulte du livre, loin de l’innocence de Lyra. Cependant, quatre personnages sortent véritablement du lot et vous donneront source de réflexion longtemps : Lord Asriel et Mme Coulter d’une part, Lyra et Will de l’autre. Le premier duo est envoûtant. Lord Asriel, énigmatique et finalement peu présent dans la narration, plane comme une ombre tout au long de l’aventure. Son dessein est toujours trouble : est-il un allié ou un ennemi ? Faut-il s’en méfier ou lui faire confiance ? Mme Coulter, la première femme de fiction que l’on déteste (mais ça, c’était avant Dolores Ombrage), cruelle, fourbe et pourtant… femme, mère, amante, on apprend à la connaître et, sans lui pardonner, la comprendre (ce qui ne sera jamais le cas d’Ombrage, cette saleté de chou rose !)

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Et, c’est là toute la beauté de ce livre, opposé à la passion dévorante d’Asriel et de Coulter, nous avons Will et Lyra, deux jeunes pleins de défauts (Will est un anti-social, Lyra est impulsive) qui vont s’influencer l’un et l’autre et, sur ce chemin qui mène à l’âge adulte, se compléteront et s’aimeront d’un amour véritable.

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À partir de quel âge ?

Lyra, l’héroïne, a 11 ans. On pourrait donc donner ce livre à des enfants du même âge, mais, petite indication : attention, la lecture peut être dense, voire compliquée. Dès les premières pages, le terme « Poussière » devient vite assez technique, et ce n’est que le début ! Véritable prise de conscience philosophique et religieuse, je n’arrive pas à croire que je lisais ça vers 9-10 ans. Et pourtant, j’en gardais un souvenir passionné. Pour cette chronique, j’avoue même avoir dû relire certains passages pour être sûre d’avoir bien compris. Mais j’ai aussi réalisé à quel point l’écriture était bonne car, plus de dix ans après, j’y étais, comme à la première fois, tremblant et larmes aux yeux à la fin du troisième tome. Et c’est bien une preuve qu’on peut parler de choses difficiles, techniques et abstraites à des enfants qui, faisons-leur confiance, sauront apprécier qu’on ne les prenne pas pour des imbéciles.

Bonne lecture,

Bloup

Bloup tortue chroniqueur Allez Vous Faire Lire

À la croisée des Mondes, de Philip Pullman (3 tomes), chez Gallimard Jeunesse, 1998-2001, 512 pages (t. 1), 432 pages (t. 2), 656 pages (t. 3)


* Lupiot : Ce procédé est si riche en symbolique que, depuis la parution de la trilogie de Pullman, les dæmons ont été empruntés par littéralement tous les fandoms**. Il n’existe pas, aujourd’hui, d’univers littéraire populaire (de Sherlock Holmes à Harry Potter en passant par Jane Eyre ou les Hunger Games) qui n’ait pas son « crossover »** où tous les personnages sont affublés de dæmons.

Une petite âme animale qui est à la fois vous-même, votre conscience, votre complice, votre amie et votre confidente ? Mais c’est DE L’OR. (Sans compter la portée de la forme animale elle-même. Sherlock avec un dæmon bernard L’hermite ? Jane Eyre, une salamandre ? Peeta Mellark, un panda ? Albus Dumbledore, une vieille bique barbue ? De l’or, je vous dis.)

** Un fandom, c’est la communauté de fans autour d’une œuvre. Un crossover est la rencontre de deux univers. Attention, ce terme est aussi utilisé pour désigner une œuvre qui traverse les limites d’âges (ex : La Croisée des Mondes, lisible de 9 à 99 ans, publié en Jeunesse et en rayon Fantasy, est une œuvre crossover). Mais c’est pas pareil.

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