Tous nos jours parfaits, de Jennifer Niven (2015)

C’est « le John Green de la rentrée », le roman Young-Adult romantique, drôle et intelligent sur fond de thématique dure à tendance sick-litt*. Du moins, c’est ce qu’on en dit. Alors, verdict ?

tous nos jours parfaits jennifer niven gallimard jeunesseViolet et Finch se rencontrent à mi-chemin de leurs purgatoires respectifs. Le livre s’ouvre en effet sur une concomitance étrange : deux adolescents contemplent le suicide du haut du clocher du lycée. Elle, c’est Violet, jeune fille populaire qui ne sait plus comment être heureuse depuis son traumatisme familial un an auparavant. Lui, c’est Finch, l’excentrique tourmenté de la promo. Finch, qui jongle souvent avec l’idée du grand néant, voit Violette complètement paralysée, et la ramène à terre, la ramène à la vie. Sur un malentendu facile qu’il concourt à propager, toute l’école croira par la suite que c’est elle, Violet, qui l’a sauvé lui, le barjot. Peu importe ; Finch ne compte pas s’arrêter là : il se met en devoir de rendre son sourire à Violet.

Avec un humour décalé, un culot éhonté, et une culture poétique à toute épreuve, Finch la prend par la main pour l’embarquer, sous prétexte d’un travail de groupe pour le cours de géographie, dans un road-trip réconciliant. Voyant progressivement le monde par ses yeux, Violet y reprend goût. Mais Finch-le-fêlé a ses propres démons, et alors que Violet se défait justement des siens, ceux-ci se réveillent…

Mon avis ? On a, en effet, rarement été autant dans la « veine John Green »… mais ce roman m’a surtout fait penser à Eléanor & Park : on a un foyer hostile, un couple freak/populaire, des parents méfiants interdisant aux ados de se fréquenter, le rapprochement des deux héros autour de références culturelles qu’ils partagent, et de leur sentiment d’étrangeté au lycée. Autant de choses qui fonctionnaient très bien dans Eléanor & Park et qui fonctionnent, dans l’ensemble, à merveille ici aussi…

Les points forts :

  • Une écriture vivante, moderne, qui joue avec les citations, les médias de communications, et sait glisser vers la poésie au détour d’un paragraphe.
  • La narration avec un point de vue interne, à la première personne, alternée de chapitre en chapitre, restitue deux voix différentes, celle de Finch étant largement plus incarnée (et originale).
  • Un protagoniste particulièrement coloré, complexe, dans le personnage de Finch qui a une vraie épaisseur et de multiples aspérités auxquelles on s’accroche.you're interesting 500 days of summer
  • Des évolutions psychologiques subtiles et crédibles. La métamorphose identitaire tangible de Violet, la façon dont elle se sort de son engourdissement, fonctionne. Les va-et-vient de Finch entre « l’Éveil » et « le Sommeil » sont, bien que confus au départ, bien ancrés dans le récit pour rendre l’histoire cohérente.
  • Une belle histoire d’émancipation : on se projette dans ces vagabondages en voiture très hollywoodiens. Et Violet (re)prend peu à peu symboliquement le volant pour se lancer dans le monde. Il y a un aspect émotionnel assez subtil et fort dans sa façon de refaire surface en laissant sombrer derrière elle la culpabilité et la douleur qui la retenaient. En mode :

jack sparrow's arrival poc

Beaucoup de bonnes choses, donc. Mais alors, c’est parfait ? Nouveau John Green adoubé ?** Non, non, ce n’est pas parfait. C’est vraiment bien, attention. Mais deux-trois minuscules chtouilles peuvent vous démanger les narines à la lecture de ce roman.

Les points faibles :

  • Une relation un peu malsaine dans sa construction. Finch dans la vraie vie, serait, outre un incorrigible m’as-tu-vu ­— augustus watersce en quoi il a un charme qui rappelle Augustus Waters de Nos étoiles contraires (avec lequel il a beaucoup de points communs) — franchement inquiétant. Il s’insère dans la vie de Violet sans lui demander son avis, la suit partout, s’invite même à la table du petit déjeuner chez ses parents. Alerte sociopathe.
  • Un personnage féminin un peu effacé qui semble faire office de faire-valoir. Pendant la grande majeure partie du roman, Violet n’a aucune volonté ni personnalité, ne fait que dire « Okay » aux propositions et consignes de Finch (comme à celles des autres personnages, d’ailleurs) et, typique du faire-valoir, quand Finch lui pose une question (sur la vie, la littérature, la mort, etc.) répond souvent « Et toi ? » ce qui permet à Finch de développer sa personnalité, et à la sienne de rester atrophiée.
  • Sans spoiler, sur la fin du roman, il y a des choses qui vont BEAUCOUP TROP VITE, et quelques soucis de caractérisation.
  • On joue aux amoureux dans ce début de roman : les échanges de citations, le coup de foudre un peu inexplicable de Finch, le fait qu’ils aient tous les deux un catalogue inépuisable de références littéraires à s’échanger, tout cela est délicieusement improbable : ce n’est pas gênant en soi, mais cela peut faire sourire.

larisa oleynik that's so cute

C’est un roman sensible et authentique, à la narration limpide, qui évoque plutôt finement des sujets difficiles. Tous nos jours parfaits adopte avec brio le regard intime d’adolescents tourmentés, aux prises avec des maux trop brutaux comme le suicide, la perte, et la maladie mentale. Il joue sur certaines ficelles du roman d’amour adolescent, mais reste assez largement dans les 10% de qualité supérieure des romances young-adult.

Malgré quelques aspects qui m’ont agacée, je le recommande : c’est une belle lecture (qui n’est pas dénuée d’humour et de poésie, et ça, c’est très agréable).

Bonne lecture,
Lupiot

Lupiot Allez Vous Faire Lire

 

 

 


* Oui, « sick-litt » est un vrai terme, qui existe, et qui désigne cette tendance actuelle à la « littérature-maladie », et c’est aussi le terme le plus laid du monde, donc c’est la seule fois que vous le lirez ici. En français, c’est la tendance « résilience ». Je n’aime pas trop non plus. En fait je crois que l’idée même de cette tendance me déplaît assez.

** Faudrait penser à arrêter de présenter tous les romans d’amour sur fond de thématique dure comme « le prochain John Green ! », d’ailleurs. C’est lassant, et ce n’est jamais vrai. Même quand c’est super génial, on retrouve rarement la « spéciale » de Jean Vert qui est de sonder l’âme adolescente pour nous projeter dans le cosmos de la grande exploration identitaire.

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