L’aube sera grandiose, d’Anne-Laure Bondoux (Gallimard Jeunesse, 2017)

Je vous avais promis de vous parler de L’aube sera grandiose. Comme il sort bientôt (le 21 septembre 2017) c’est l’heure de tenir ma promesse :

Épopée jubilatoire d’une cavale familiale à la Malavita, récit intimiste sur deux générations, le nouvel Anne-Laure Bondoux est un petit bijou.

 

Sans prévenir, la mère de Nine l’embarque pour une virée mystérieuse. Titania Karelman, romancière à succès, « la fée du suspense », conduit alors sa fille dans une petite cabane près d’un lac, et lui promet que la nuit va être longue. Elle a en effet décidé de lui révéler un lourd et fascinant secret de famille.

Au fil du récit, on découvre une famille haute en couleur (pour ne pas dire psychédélique) que Nine ne connaissait pas. Puis le mystère s’épaissit lorsqu’on apprend l’identité du père de Titania (et donc du grand-père de Nine) : un type peu recommandable (c’est rien de le dire) aux activités quelques peu illégales (*tousse, tousse*). Titania et ses frères, qui ont échappé à son emprise il y a bien longtemps, ont toujours craint son retour, et ceci pour une bonne raison, que Nine ne vas pas tarder à découvrir…

Car, pour la première fois de sa vie, à l’aube de cette nuit de secrets, elle va rencontrer sa grand-mère et ses oncles psychédéliques.
Une famille de cinéma, sortie de derrière le rideau pour la saluer.

Ok, donc,
POURQUOI C’EST BIEN ?

#1. Une aventure familiale improbable qui a parfois des airs de Malavita. Quand on commence à avoir toute les cartes en main, on réalise que c’est une histoire frapadingue.

  1. Mais (saveur plus rare et plus discrète), c’est aussi le récit des petits drames du quotidien se mêlant avec limpidité aux *tragédies* rocambolesques d’une famille en fuite, dans un cocktail doux-amer. J’avais classé ce roman dans la catégorie « Joli et badant (mais plus joli que badant) » dans mon bilan de Juillet ; je m’auto-confirme. (C’est bien, d’être d’accord avec soi-même.)
  2. Dans le même temps, les flash-back de Titania nous offrent un conte d’enfance délicieux, avec ses terreurs et ses joies simples.

#2. Une galerie de personnages aussi fantasques qu’attachants.

  1. De la mère hippie aux enfants caractériels, en passant par les multiples pères d’adoption (qui sont des JOYAUX d’authenticité et de sincérité), on s’attache à tout le monde. Mention spéciale à Orion, son catalogue, son code secret, et son papa numéro 2 fan de cyclisme. Amour sur ces personnages.
  2. Un talent pour incarner des personnages blessés : tous ont une fêlure qui les rend plus fragiles mais aussi plus résilients, et n’entame pas leur capacité d’amour. J’adore ce genre de profils, parce que, comme le dit John Green « J’écris sur des gens blessés qui ont besoin des autres pour se relever, parce que je ne connais pas d’autres sortes de gens ». Ben oui. On est tous déglingués, chacun à notre échelle, avec nos microfêlures. Ce qui ne nous empêche pas forcément de fonctionner, tel des écrans d’iPhone explosés.

    Allégorie de notre santé émotionnelle.

  3. Le lien sacré, à la fois concurrentiel et intimiste qui unit une mère à sa fille, est ici esquissé avec beaucoup de délicatesse.

#3. Une construction parfaite, alternant passé et présent, distillant ses informations sans hâte, jouant avec l’attente du lecteur et lui laissant le temps de savourer les anecdotes.

#4. La plume d’Anne-Laure Bondoux, simple et évocatrice, est portée par un vrai souffle, souvent joyeux, plus doux qu’amer.

LE PETIT HIC

On est censé s’identifier au personnage de Nine (qui se méfie de tous ces secrets) et plonger ainsi très vite corps et âme dans le récit, mais au début, je dois avouer que ça peut coincer un peu, le lecteur avançant avec précaution dans ce conte qu’on lui sert sur un plateau.

En effet, la révélation est très « mise en scène », par le biais du personnage de Titania présentée comme une écrivaine (surnommée « la fée du suspense »…) et la construction du roman, aussi habile soit-elle, a cette tendance assumée à nous montrer ses ficelles, ce qui n’est pas spécialement ma tasse de thé. Je préfère qu’on assume le fait de me raconter une histoire, plutôt qu’on me rappelle qu’on est juste en train de me raconter une histoire. La nuance est de taille.

… CE QUE J’ADORE :

C’est très bizarre, je ne sais pas si cette impression est partagée, mais j’ai le sentiment de « suivre », de roman en roman, les questions existentielles qui aiment l’auteur.

Ici, en filigrane L’aube sera grandiose porte une histoire d’héritage, ou comment faire la part du bon et du mauvais. C’est un récit qui invite à abandonner ce qui pèse trop lourd, encombre et blesse…

… et à apprendre à aimer le reste. C’est un conte rédempteur optimiste (mais pas obvious ni manichéen) qui vous délivre une véritable leçon sur la beauté des crevasses familiales.

Et donc, pour revenir à mon impression bizarre, ce récit répond avec douceur et émerveillement à une question posée à répétition dans le précédent roman d’Anne-Laure Bondoux :

« Faut-il toujours perdre une part de soi pour que la vie continue ? »

L’aube sera grandiose nous répond :

« Non, il faut plutôt retrouver une part de soi. Et faire la paix avec. »

À l’issue de cette lecture, on se dit « Aujourd’hui, il est temps, enfin, de renouer avec le passé. » Et c’est terriblement satisfaisant, in the end, de savoir que lorsque la longue nuit des secrets sera passée, lorsque tout sera révélé, les personnages de l’histoire apparaîtront en chair et en os devant Nine, et devant nous.

*

Un récit dont on émerge comme après une plongée en eaux profondes, la poitrine comprimée, émerveillé et vivant.

Bonne lecture,

Lupiot

Lupiot Allez Vous Faire Lire

23 réflexions sur “L’aube sera grandiose, d’Anne-Laure Bondoux (Gallimard Jeunesse, 2017)

  1. Bonjour Julia,
    Tes chroniques sont toujours un régal à lire, très justes et pleines d’humour. J’ai découvert ton blog grâce aux partages réguliers de tes articles par Pauline d’un Invincible Ete, et c’est par toi que je suis entrée dans le monde des blogs LJ 😉

    J’avais adoré les oeuvres précédentes d’Anne-Laure Bondoux, et tu m’as vraiment donné envie de lire celle-ci !! J’ai hâte de sa sortie

    Bonne journée
    Marine

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    • Ah ben dis-donc, merci bien bas ! C’est formidablement sympathique de prendre le temps de me dire tout ça. J’aime beaucoup le blog Un invincible été dont je parle de temps en temps ici aussi. (Pauline et moi avons l’une de ces relations magiques du web où l’on ne se connaît pas mais on se recommande mutuellement régulièrement.)
      Je te souhaite une très belle lecture avec ce nouvel Anne-Laure Bondoux !

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  2. La couverture de ce livre m’a tout de suite attirée quand il est arrivé en début de semaine dans ma librairie… mais ton avis m’intrigue encore plus maintenant !
    Je n’ai jamais lu d’Anne Laure Bondoux auparavant, à présent j’ai très envie de m’y mettre !

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    • Ahhh, si tu n’as jamais lu d’Anne-Laure Bondoux, j’ai presque envie de te recommander de lire ses livres dans l’ordre, tant c’est chouette de la « suivre » de livre en livre, cette autrice (tu as l’impression de suivre son histoire)… Mais bon, restons dans le sujet. Mon n°1 toute catégorie est, je pense, Tant que nous sommes vivants. Et L’aube sera grandiose arrive en deuz.
      Bonne lecture !!

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  3. Salut Julia,
    Merci pour tes chroniques toujours détaillées, claires et intelligentes ! J’hésitais jusque là (pour une raison obscure) à me lancer dans Tant que nous sommes vivants, et je suis maintenant convaincue qu’il me faut me lancer dans un des romans d’Anne-Laure Bondoux, reste à savoir par lequel commencer… 🙂

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    • Hello Lucie, merci pour ce très chouette message plein de belles choses. N’hésite pas à te lancer dans Tant que nous sommes vivants. En revanche, comme il est empreint d’une sorte de langueur onirico-mélancolique, si le début ne t’accroche pas, laisse-le reposer pour un moment plus « posé », peut-être. Je sais que j’ai un peu hésité, au début, comme quand on a un orteil dans la piscine et qu’on ne sait pas encore si on y va ou pas.
      Mais une fois qu’on est dedans, c’est tellement bon…

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    • Je pense que les avis « négatifs » que l’on rencontre (encore que, je ne sais pas lesquels tu as lu, mais au pire j’ai plutôt rencontré du « mi-figue mi-raisin ») sont dus à la heuteur himalayesque à laquelle tout le monde a placé Anne-Laure Bondoux après Tant que nous sommes vivants. C’est déraisonnable de se créer de telles attentes, on est forcément déçu. Moi je m’attendais à être déçue, du coup tu vois, j’étais ravie xD
      Sans rire, c’est un excellent, excellent roman, à dévorer & savourer à la fois (ce qui n’est pas si commun, hé…)

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  4. Ton avis est superbe, chapeau ! Comme tu le dis si bien, on sent effectivement l’évolution de l’auteure au fil de ses romans, de ses réflexions. L’aube sera grandiose est magnifique, mais bon, au fond de moi Tant que nous sommes vivants reste un coup de coeur absolu difficile à égaler ! J’aurai aimé encore davantage en apprendre sur les jumeaux, sur leur vie après la séparation… ce sont eux plus que Consolata enfant qui m’ont conquise et je sors ainsi de ma lecture un poil frustrée de ne pas avoir passé plus de temps avec eux.
    Mais bon, en résumé, un très beau et grand livre 🙂

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    • Il est zuperbe. Son précédent est plus original, je pense, plus « out of nowhere » (mais aussi un peu plus mélancolique et onirique), et c’est vrai que, comme Lucille (dans les comm’ ci-dessus), il m’a davantage marquée, au sens où il a réellement laissé sa marque en moi, une petite griffure que je peux titiller du bout des doigts. Si tu ne l’as pas lu, à découvrir, vraiment…
      Et celui-ci est très réussi, top of the pop. Moins *singulier*, cependant, je pense !

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  5. Quoi ? Quoi ? Que vois-je ? Titania ? Orion ? Et tu ne me parles pas des prénoms ? :O C’est fait exprès ? Si c’est pour me laisser en suspens et me donner très très envie de découvrir ce livre, bien joué ! Ça marche du tonnerre ! Je meurs d’envie de savoir quelles connexions croustillantes on peut faire entre ces prénoms chargés de symboles et leur rôle dans ce roman.

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    • Damned elle m’a percée à jour. Titania, Orion, Consolata, Orion, Octobre, Antonine… Voici une sélection des prénoms que tu peux découvrir dans ce roman.
      Et pour comprendre leur résonance avec les personnages, il faut le lire.

      Koi, je suis diabolique ? keuveutudire?

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    • Ah je réalise que ma formulation peut porter à plusieurs interprétations : quand je souligne qu’ « on est censé s’identifier au perso et donc boire ce conte qu’on nous sert sur un plateau », le pb pour moi n’est pas du tout qu’on ne s’identifie pas au perso et que ça me frustre, mais bien la structure narrative trop apparente et « facile », ce que je développe juste après !

      L’identification au personnage, curieusement, c’est quelque chose qui ne m’intéresse pas trop, voire pas du tout, en littérature. Je ne trouve pas qu’il soit nécessaire de s’identifier au personnage pour le comprendre, dans la mesure où on a une pratique de l’humanité suffisante pour conceptualiser différents types de personnalités xD. On le trouve alors génial ou horrible ou quelque chose sur la palette d’entre-deux, mais pas besoin qu’il nous ressemble. (= Pas besoin d’aimer la chair humaine pour adorer regarder la série Hannibal, ni de rêver de caresser les petites filles pour lire Lolita, ni d’être un génie égotique insupportable pour apprécier les aventures d’Artemis Fowl, etc. Pas besoin de s’ « identifier », donc, même si pour plusieurs raisons, c’est un procédé littéraire intéressant, notamment quand il s’agit de… délivrer de l’information ! Et là, mettre un personnage « ignorant », donc, dans la même situation que nous, c’est le panard, car les autres personnages vont pouvoir tout lui expliquer. C’est ça qui se passe ici, et j’ai trouvé ça trop transparent, trop « assieds-toi je vais tout t’expliquer », justement.)

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      • Ah je vois oui.. personnellement quand je dis m’identifier, je me fiche un peu que le personnage me ressemble mais pour qu’il me touche réellement il faut que je puisse réellement entrer dans sa tête, comprendre ses actions et que ses aventures fassent écho en moi, si je reste en surface ça finit vite par me lasser

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  6. Pingback: L’aube sera grandiose [roman] – Les.lectures.de.Caro

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