TOP LITTÉRATURE 2018. Partie 2 : ado-adulte

Il y a quelques jours semaines, je vous recommandais une (trop longue) liste d’excellents romans jeunesse (8-12 ans), dans mon TOP LITTÉRATURE JEUNESSE (partie 1)

Aujourd’hui, je vous recommande une (encore plus longue) liste : celle de mes…

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Avertissement : Je travaille chez Sarbacane en tant qu’assistante d’édition. Et, le temps passant, il m’est de plus en plus difficile (et de plus en plus intensément passionnel) de décider quels titres de chez Sarbacane recommander en tant que blogueuse. Parce que, d’un côté :

  • Parler de romans Sarbacane quand tu travailles pour Sarbacane s’apparente assez à un énorme favoritisme. Or, cela m’ennuierait de susciter chez des inconnus l’envie de me fouetter avec des orties en criant « TU M’AS TROP TRAHI·E ».

Donc, ne pas parler de romans Sarbacane ? Je pourrais totalement exclure ma maison de mes Top. Mais, d’un autre côté :

  • Ce serait parfaitement mentir, car nombre de mes énormes coups de cœur sont Sarbacaniens. Or, j’aime pas mentir. (Ça fait rien qu’à blesser des gens et te compliquer la vie en échange d’un instant fugace de tranquillité.) (Super mauvais deal.)
  • Cela dénaturerait profondément mes listes de coups de cœur, tout en m’empêchant de parler des vrais, et donc créerait une frustration désagréable du côté de mon ventricule de cœur de dragon, or, comme j’entretiens ce blog pour mon loisir, je vois pas bien l’intérêt de me créer des frustrations désagréables de ce côté-là.
  • Par ailleurs, ce serait à mon sens une plus grande trahison de ne parler ici que de romans de la concurrences et pas de tous ceux pendant l’édition desquels j’ai ri et chialé dans le plus pur épanouissement romanesque.

C’est pourquoi — tout en me contrôlant pour ne pas mettre plus de genre, 30% de Sarbac dans mes listes — j’ai choisi de continuer à parler des romans que j’aime, tout simplement. Et si cela fait apparaître des menaces de mort dans ma boîte mail,

Après ce nécessaire rappel du cadre légal de nos activités, replongeons-nous dans le vif du sujet : mon TOP littéraire 2018. Rappelons donc les consignes de l’exercice :

  1. À l’aide de vos connaissances, et en puisant dans vos 160 lectures de l’année 2018, vous établirez, en une publication structurée (de moins de 30 kilomètres), le classement de vos livres préférés.
  2. Vous prendrez soin d’illustrer votre propos par des images qui bougent.
  3. Vous émaillerez votre production d’une petite blague ici et là, pour satisfaire les esprits taquins.

À l’issue d’une procédure de choix excessivement longue et douloureuse, que je ne pourrais décrire que comme une auto-appendicectomie littéraire, j’ai réussi à épurer mes listes de pré-sélection jusqu’à n’en laisser que quinze.

QUINZE. Sur CENT SOIXANTE.

Oups, j’ai déjà menti, en fait y en a 20. Voici les 5 qui ont frôlé le podium :

Cinq lectures adorées qui pour une raison ou une autre rentraient imparfaitement dans ma liste mais que je voulais tout de même vous montrer rapport à cette histoire de frustration intercostale gauche.

À présent, mes poulets encaniculés, dans cette moiteur estivale impropre à la réflexion, êtes-vous prêts à vous laisser guider à travers une liste de lectures formidables, êtes-vous prêts à lire des paragraphes excités portant sur des romans parfois très peu feel good (sauf si comme Léo Ferré, vous aimez ce mal qui vous fait du bien) (car c’est extra), en un mot comme en cent, êtes-vous PRÊTS POUR LE TOP 15 LITTÉRATURE ADO-ADULTE 2018 ?

Si vous avez hurlé « Oui !!! » devant votre écran, je vous invite à scroller vers le bas — et à vous excuser auprès de votre voisin de pallier qui a sursauté alors qu’il versait le thé et s’est donc ébouillanté par votre faute, dangereux animal que vous êtes. Si vous avez hurlé « Non », écoutez, c’est très bizarre, comme réaction.
GO.

*LE FABULEUX TOP 15*

En 15e position

Sirius, de Stéphane Servant
(Le Rouergue 2017)
À partir de 13 ans environ

Vainqueur du Prix La Voix des Blogs 2018, Sirius est un conte apocalyptique moderne mêlant aventure et poésie. C’est un pavé, qui raconte l’errance d’Avril, une ado, et Kid, un gosse, abandonnés dans un monde dévasté : hommes, femmes, enfants, animaux, tout le monde est logé à la même enseigne noire de suie. L’histoire s’inscrit dans un univers à la genèse aussi évidente que complexe, et déroule une intrigue sous forme de road-trip. Il y a du rêve, de la violence, et toute une série de scènes racontant presque des histoires indépendantes, chacune dessinant un chemin possible pour l’humanité.

Ce roman a deux petits bémols pour moi : son message un peu trop insistant (surtout sur la fin) et sa timeline toute de guingois (n’essayez pas de calculer l’âge d’Avril, par exemple). Pour autant, il m’en reste une impression de beauté singulière : la plume de Stéphane Servant, imagée, parfois langoureuse, apporte une personnalité inhabituelle et merveilleuse au genre du récit apocalyptique.

Tu peux cliquer sur les images pour mieux voir ce qui est écrit dessus, si tu as besoin. Entre personnes bigleuses, on se soutient.

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En 14e position

L’instant de la fracture, d’Antoine Dole
(Talents Hauts 2018)
À partir de 13 ans environ

Ce roman est terrible, parce que c’est un cri du cœur, d’un instant pris sur le vif. À l’orée d’un dîner de famille, genre repas de Noël bien comme il faut, le narrateur se demande s’il doit enfin ouvrir son cœur et déverser sa bile-sa colère-sa blessure-sa tristesse-sa haine devant tout le monde car il n’en peut plus de devoir faire bonne figure en présence de la personne qui… l’a abusé tant d’années.

Va-t-il trouver le courage ? Va-t-il renoncer, par peur du jugement, peur d’embêter les gens, peur d’être celui-qui-fout-la-merde ? Est-ce une répétition générale qui a lieu dans sa tête avant le grand saut ? La représentation aura-t-elle lieu ?

Cette lecture m’a totalement flinguée ; j’en suis ressortie avec une frustration, un amour et une rancœur que m’avait refilés le narrateur ; j’avais envie de jeter le bouquin par la fenêtre — mais aussi de le coller dans les mains de tout le monde. C’est salaud, insoutenable, mais aussi profondément génial.

#illustration

 

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En 13e position

Brand New Ancients, de Kate Tempest
(VO 2013, VF L’Arche 2017)
À partir d’un très bon niveau d’anglais
(et de 15 ans environ)

Brand New Ancients est un bref roman en vers, qui suit plusieurs personnages plus ou moins brisés, depuis leur enfance jusqu’à leur début de vie adulte — où BAM, ils se retrouvent pour un climax dramatique à vous faire trembler les genoux et vous glacer le cœur.

C’est profondément sensible, empathique, rude, pernicieux, et d’une poésie hypnotique.

Comme toujours chez Kate Tempest, on se trimballe dans ce milieu de semi-cassos de banlieue de Londres où la vie n’est pas hyper sympa avec les mômes. La finesse de ce récit se trouve dans la façon dont l’autrice fait grandir, en creux et en pointes, deux ou trois personnages dont on ne saurait dire s’ils se sont « faits eux-mêmes » ou si un sens du Destin à la Grecque les a précipités dans un tunnel dès leur naissance. Fascinant et puissant.

 

Note : ce roman en vers a été traduit chez L’Arche (cf. à droite) sous le titre Les nouveaux anciensmais je vous recommande vivement la VO, car la VF de ce verse novel manque pour moi un élément central dudit novel : le verse. Il y a des tentatives… mais c’est très appauvri en rythme et rimes, alors qu’il y a tout ça à foison dans l’anglaise version. Après, la traduction de la poésie est un exercice difficile, etc. (et merci l’éditeur français de nous proposer ce projet si original), n’empêche, ici, c’est beaucoup moins bien.

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En 12e position

Moonrise, de Sarah Crossan
(VO 2017, VF Rageot 2019)
À partir d’un niveau d’anglais genre, réglo
(et de 14 ans environ)

Joe est un ado ordinaire qui fait des projets d’athlétisme ordinaire pour son été ordinaire, et tout va bien — sauf que non.  Ça fait 10 ans que Joe n’a pas vu son grand-frère Ed, lequel est en prison. En prison et même, plus précisément, dans le « couloir de la mort », où sont logés les condamnés.

La date d’exécution vient d’être annoncée.
Ed dit qu’il est innocent.

Alors, contre l’avis de tous ses proches et de toute la société, Joe annule ses projets d’ado ordinaire, annule son été ordinaire, sa vie tranquille ordinaire… et traverse le pays afin de passer ses dernières semaines avec Ed, et tenter de — quoi ? — rétablir une connexion avec son frère ? Le sauver ? Lui dire adieu ?

J’adore chacun des romans de Sarah Crossan, que je trouve d’une grande et douloureuse tendresse. Ici, on retrouve le sujet de la famille dysfonctionnelle, la violence, la séparation, et la relation frère-sœur. C’est fin, éthéré…
… et vous allez vous surprendre à chialer.

 

Note : une traduction de ce roman est à paraître en septembre 2019 sous le titre Moon Brothers chez Rageot ; je ne l’ai pas lue, mais comme elle est de Clémentine Beauvais qui, petit a, écrit bien, petit b, a une bonne expérience du roman en vers et petit c, adore et connaît par cœur l’œuvre de Sarah Crossan, je pense que vous pouvez y aller les yeux fermés.

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En 11e position

Le boulevard, de Jean-François Sénéchal
(Leméac 2016)
À partir de 15 ans

OH ! Un roman québécois sauvage apparaît !!

Ce n’est pas souvent que j’ai l’opportunité de vous recommander des romans francophones publiés à l’étranger et rien que pour ça, ça vaut le coup de ne pas rater celui-ci. Mais surtout :

Le boulevard est un livre qui pulse comme un cœur : beau, lumineux, drôle et touchant comme une grande comédie familiale ou un roman de Marie-Aude Murail.

On suit Chris, ado un peu simplet à la voix toute pétée (j’adore les voix toutes pétées, je l’ai déjà dit ?), qui découvre au matin de ses 18 ans que sa mère (épuisée ? malheureuse ?) vient de se faire la malle, le laissant seul. La vie devient alors un parcours du combattant pour Chris, qui se qualifie lui-même d’imbécile heureux. Comment se débrouiller ? À qui se fier ? Qui aimer ?

Un roman INCROYABLE, d’une justesse et d’une générosité dingues. Chris à tout à revendre : de l’amour, de la tendresse, des colères, des opinions, de la sensualité ; c’est un individu complexe et complet, terriblement attachant, qui ne peut que gagner à cette chienne de loterie de vie. Pas vrai ? Avec un peu d’aide. Parce qu’il va avoir de l’aide, non ? Non ? Alleeeez…

Note : Le boulevard connaîtra une nouvelle publication chez Sarbacane (collection Exprim) en 2020 sous le titre Imbécile heureux .

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En 10e position

Sauveur et fils, saisons 3-4, de Marie-Aude Murail
(L’école des Loisirs 2017-2018)
À partir de 13 ans environ

Tiens, on parlait d’elle ! Marie-Aude Murail a le don d’aborder les sujets les plus graves avec une légèreté toute naturelle, c’est singulièrement épatant, et c’est ce qu’elle fait en continu dans cette saga familiale, Sauveur et fils.

Sauveur Saint-Yves, psychologue, voit défiler tout un tas de cas particuliers dans son cabinet. Et on s’attache à chacun de ces petits (ou grands) patients, que l’on suit de rendez-vous en rendez-vous… comme on s’attache, d’ailleurs, à la famille de Sauveur ! Son fils Lazare le mutin débrouillard, Paul le petit copain de celui-ci, et la maman-bientôt-amoureuse de ce dernier… la maison ne cesse de se remplir d’amours et d’histoires, et on en redemanderait à jamais.

D’ailleurs, le tome 4 était censé sonner la fin de la saga, mais apparemment il y aura une suite (HOURRA). Ce qui, franchement, n’étonnera personne, parce que ça n’avait rien d’une fin, ça !! Enfin c’est mon opinion, yo.

 

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En 9e position

Cœur battant, d’Axl Cendres
(Sarbacane 2018)
À partir de 14 ans environ

Cœur battant c’est l’histoire de 5 « hors-la-vie », c’est-à-dire, 5 personnages ayant chacun fait une tentative de suicide. Ils se rencontrent dans une clinique censée les « réhabiliter à la vie » — alors qu’ils ne rêvent que d’une chose : se jeter d’une falaise. D’ailleurs, à force d’en parler, ils vont monter ZE projet : s’évader en voiture, direction la Normandie, afin de véritablement, tous ensemble, se jeter d’une falaise. Fallait y penser.

*

J’adore l’audace de ce pitch, mais aussi son traitement génialement drôle. C’est l’histoire classique : celle du chemin qui est plus important que la destination.

Ce qui est fort, dans ce récit, c’est sa sincérité : tout est à la fois trop dingo et trop frais pour sembler fabriqué. Il y a un vrai cœur battant derrière. Laissez-vous emporter.

NB : je viens juste de fabriquer ce post fake, ce compte insta n’existe pas — même si clairement, il devrait.

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En 8e position

Swimming pool, de Sarah Crossan
(trad. Clémentine Beauvais)
(VO , VF Rageot 2018)
À partir de 13 ans environ

Encore un Sarah Crossan ! (Sorry not sorry. J’en ai lu un paquet en 2018 ¯\_(ツ)_/¯)

Swimming Pool, c’est l’histoire de Kasienka, immigrée de 13 ans tout juste débarquée de Pologne avec sa mère, laquelle poursuit un mari (et donc un père) déserteur, presque imaginaire. Kasienka peine à trouver sa place au collège british et son harcèlement merdique oh-so-typique, et ne se sent bien que sous le chlore de la piscine, où elle nage interminablement.

Swimming Pool est un roman en vers (ou plutôt une succession de courts poèmes narratifs qui, cousus ensemble, racontent une histoire), mais pas seulement : c’est aussi un excellent roman sur le malêtre du déracinement, le harcèlement scolaire par les ordures ordinaires, l’amour filial complexe, l’indépendance féminine, et ce premier crush adolescent compliqué. (You know. Quand t’es moche et nul·le mais que ça t’empêche pas d’aimer.)

Ce roman est fantastiquement écrit — et fantastiquement traduit.

Note : la version originale de ce roman s’appelle The Weight of Water.

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En 7e position

La sauvageonne, d’Anne Schmauch
(Sarbacane 2018)
À partir de 14 ans environ

La sauvageonne c’est mon incompréhension commerciale de 2018, parce que ce roman est si GÉNIAL et complètement dans l’air du temps (grosse ambiance « Littérature de chez L’Iconoclaste », avec des échos profonds à Ma reine et La vraie vie) qu’il aurait DÛ être sur toutes les lèvres, dans tous les cœurs, de toutes les fièvres.

Comme il n’est JAMAIS trop tard et que vous êtes certainement en train de vous redresser sur votre siège et cligner bêtement des yeux telles de mignonnes taupes, intéressées mais perplexes parce qu’on ne vous avait jamais parlé du soleil, laissez-moi vous éclairer.

#moi éclairant vos vies

C’est l’histoire de Fleur et Kilian, deux ados malchanceux dans le rayon hérédité, puisqu’ils se coltinent une mère molle du bulbe, total intoxiquée aux vapeurs d’essence, et un père de l’espèce crétin-violent-castrateur qui emprisonne toute la famille dans ses propres échecs. Concrètement, ça se passe comme ça :

La famille vit au milieu de la pampa, scotchée à la station-essence-en-voie-de-désaffection que tient désespérément le père. La mère s’évade de sa mini-boutique puante en lisant des Harlequins, rêvant du beau Mike Candy qui viendra un jour la délivrer au guidon de sa Harley. La fille, petite sauvage aux joues sales, s’évade en se faisant continuellement renvoyer du lycée pour s’être bastonnée… rêvant du Bac qui lui permettra enfin de quitter ce merdier. Le fils enfin, s’évade en jouant du violon en cachette chez les riches vacanciers parisiens installés non loin, rêvant de se faire adopter. En un mot comme en cent : c’est la hess.

Aussi, quand un type louche vient agoniser sous leurs yeux avec un sacs rempli de biftons, Fleur et Kilian, ni une, ni deux, décident d’en profiter pour se tailler. Direction Paris, la grande vie, la belle vie, la meilleure vie. Ça ne doit pas être si compliqué que ça, de trouver sa place dans le monde, si ?

Spoiler alert : si. Mais qu’est-ce que c’est beau de les voir batailler pour se frayer un petit sentier de bonheur discret en marge de celui, plus lumineux, de tous ceux qui ont eu la chance d’être bien nés ! Ce roman est une éblouissante aventure ultra-contemporaine (mais à l’ancienne), tenu sur un rythme de train qui fonce vers l’horizon.

 

Ta vie a présent que je l’ai éclairée avec cette excellente idée lecture :

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En 6e position

La vie devant soi, de Romain Gary
(sous le pseudonyme d’Émile Ajar)
(Mercure de France, 1975)
À partir de 13 ans environ

Okayyy, je sais ce que vous allez dire : « Mais c’est vieux, ce truc, là, Julia !… » Ce à quoi, en tant que gosse de treize ans coincée dans un corps d’adulte, j’aurais envie de répondre que ta mère aussi est vieille et tu lis encore ses textos, yo.

Bref. Quand j’ai découvert ce roman*, j’ai hurlé : POURQUOI PERSONNE NE M’A DIT À QUEL POINT C’ÉTAIT BIEN ?! À quoi mon amie Aylin Manço a répondu : « Tout le monde te l’a dit, c’est un *classique*. » Certes, un point, mais pourquoi ne m’avait-on pas dit, à moi personnellement, combien j’allais adorer ce roman ?

La vie devant soi s’inscrit dans le courant littéraire du flux de pensée, et est raconté par un gamin à la voix déglinguée, nourrie de sa vie de quasi enfant-des-rues à la culture aussi foisonnante (toutes les langues sont parlées, dans son immeuble) que bancale (on sait à peine écrire, dans ce bordel), à l’univers aussi coloré qu’imaginaire, aussi dur que naïf. Or, moi, j’ADORE les voix d’enfants déglinguées, enfin, tout le monde le sait !! Et ici, c’est remarquablement fin, d’une oralité en constante réinvention qui parvient néanmoins à se creuser un nid d’authenticité avec des brindilles de répétitions, des morceaux de marottes d’enfants, et juste assez de noirceur pour te briser le cœur.

C’est l’histoire d’un gosse, Momo, qui vit à Belleville dans une pensions d’enfants de putes tenue par la vieille Rosa, une femme juive aussi énorme que laide qu’il aime de toute son âme. C’est l’histoire de cette vieille juive qui va mourir parce qu’elle est vieille, et de Momo qui va grandir parce qu’il est petit. C’est magnifique. C’est drôle. AH LA LA. Un monument.

* Comment j’ai découvert ce roman, anecdote : une copine fan de Gary me racontait un jour que, super énervée par les moustiques qui zouzouillaient dans sa piaule, elle avait attrapé les premiers bouquins qui lui tombaient sous la main et PAF — « TIENS, La promesse de l’aube !! » — SBAM — « La vie devant toi, petit enculé !! »
C’est l’histoire de comment, tombant sur le premier chez un bouquiniste, je l’ai acheté sur la seule valeur humoristique de ce souvenir, et comment, ne trouvant pas le second, je l’ai demandé en cadeau à Noël.

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En 5e position

We Come Apart, de Sarah Crossan & Brian Conaghan
(non traduit, VO 2017)
À partir d’un niveau d’anglais capable de finesse
(et de 15 ans environ)

(Promis c’est le dernier Sarah Crossan de la liste — MAIS, comme vous pouvez le constater, mon préféré de 2018.)

We come apart (« On se détache ») est une INCROYABLISSIME histoire (d’amour) en vers conté par deux voix alternées : celle de Jess et Nicu, qui se rencontrent en faisant des… travaux d’intérêt général. La première est là pour vol à l’étalage (pure provoc) et le second en raison d’un malentendu — et d’un peu de racisme social (parce que ça fait jamais de mal).

L’intérêt de ce roman repose sur :

  1. La rencontre de deux points de vue opposés (une fille pessimistes et grinçante, un ado doux et solaire) et la relation étonnante  qui en émerge progressivement.
  2. Le portrait viscéralement insoutenable du domestic abuse à l’œuvre dans la famille de Jess. (Soyez prévenu·es ; ça me hante encore.)
  3. Le déchirement culturel et émotionnel qui a lieu en Nicu, que ses parents ont prévu de marier contre son gré… parce que ça se fait chez eux.
  4. Le propos social atrocement puissant et fin : les deux ados subissent des injustices en raison du fait qu’on « attend » d’eux certains comportements. (Ok, cette dynamique de la chute prédestinée me tord le ventre à chaque fois.)
  5. La douceur, tendre, lumineuse, si positive, du personnage de Nicu.
  6. L’étonnant rythme narratif du récit, qui prend son temps pendant les 4/5e du roman puis s’accélère sur le dernier comme s’il venait d’enquiller sur une rampe de fusée… pour te laisse en suspend juste après le décollage.

C’est à la fois d’une cruauté sans pareille d’une tendresse saisissante. GROS coup de cœur.

Note : Ce roman n’a pas encore été traduit en français. La raison pour laquelle je recommande un bon niveau d’anglais est que le charme de la voix de Nicu repose en partie sur ses erreurs de grammaire-immigrée, ses maladresses, sa poésie d’apprenant. Il faut donc être capable, pour vraiment profiter de ses poèmes à lui, de voir, lire et apprécier un anglais « cassé ».

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En 4e position

La vraie vie, d’Adeline Dieudonné
(L’Iconoclaste 2018)
À partir de 15 ans environ

C’est l’histoire d’une gamine que l’on suit de son enfance à la fin de son adolescence, à travers ses deux grands combats secrets :

  1. Celui d’échapper et survivre à son père, brute dominante et perverse, chasseur de grands fauves, cogneur de femmes. Le but du jeu : ne jamais devenir une femme, ne jamais lui laisser voir qu’elle en est une. À ce jeu, c’est quitte ou double : si ça marche, la paix ; si ça plante… il faut que ça marche.
  2. Celui de devenir scientifique pour inventer une machine à remonter le temps afin de « sauver Gilles ». Gilles, c’est son petit frère. Et, pour le meilleur ou pour le pire (mais plutôt pour le pire), il est en train de prendre le même chemin que son père.

La vraie vie, au-delà du merveilleux portrait d’une enfant joueuse devenant jeune femme en construction (belle, complexe, ordinaire, extraordinaire : riche d’un imaginaire singulier et d’une sensualité sous tension), au-delà de tout cela donc, est conté dans une langue de celles que j’adore : un style imagé d’une si grande finesse qu’il en devient discret.

 

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En 3e position

Je, d’un accident ou d’amour, de Loïc Demey
(Cheyne 2014)
À partir de 14 ans environ

J’en ai déjà beaucoup parlé sur les réseaux, je vais donc m’auto-citer, car comme dit George Bernard Shaw*, ça apporte du piment à la conversation :

Je, d’un accident ou d’amour est un poème narratif de quelques pages, découpé en 16 minuscules chapitres à déguster. Il ne contient aucun verbe, comme si ceux-ci avaient explosé suite à une frappe chirurgicale, et que la langue avait dû se réorganiser sans eux.

C’est l’histoire d’une rencontre amoureuse et de la tête à l’envers que ça fait.

C’est aussi, et j’insiste là-dessus car trop de gens ont peur de la poésie, le meilleur ouvrage que je connaisse pour découvrir la poésie contemporaine : hyper accessible, facile tout en étant très fin poétiquement, un peu drôle… et proprement saisissant.

J’ai tant adoré cette lecture que j’ai offert ce livre à tour de bras autour de moi, suscitant chaque fois le même émoi. Ça te papillons dans le ventre, ça te frissons douillets.

* Si toi non plus tu sais pas qui est George Bernard Shaw et tu t’en fiches, crie « ENCORE UN BARBU ! » et continue vers la suite.

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En 2e position

Brexit Romance, de Clémentine Beauvais
(Sarbacane 2018)
À partir de 15 ans environ

Ce roman aurait pu être en 1ère position, mais ça fait déjà plusieurs années que Clémentine Beauvais est en tête de mes classements, et je commence à trouver ça gênant. (Est-ce ma faute, pourtant, si elle écrit des romans aussi incroyablement denses, brillants et hilarants ? NON.)

C’est l’histoire de Marguerite, petit cantatrice frenchie d’une naïveté déraisonnable, qui part à Londres pour une représentation d’opéra et tombe sous le charme d’un jeune lord anglais aux cheveux blonds bien peignés, Cosmo Carraway. MAIS attention, car ce roman est un mille-feuille gourmand : c’est aussi l’histoire de Justine, la meilleure amie de Cosmo, qui vient de lancer « Brexit Romance », une appli tinder de mariage blancs entre britons et français visant l’obtention de passeports européens. Or Justine, qui aimerait que son business plan ne tombe pas à l’eau, se met frénétiquement à vouloir marier tout le monde. Shenanigans ensue.

Brexit Romance est une comédie romantique comme on n’en fait pas du tout assez (c’est mon avis, moi qui suis friande de dialogue amoureux qui font éclater de rire) : c’est si délicieux, malicieux, stylistiquement époustouflant et tinté d’une folie british non pas douce mais totalement ravagée, qu’on rit toutes les deux lignes — et qu’on est tout le temps en train d’en redemander. ENCORE Marguerite qui baragouine du franglais face au beau Cosmo Carraway, ENCORE Justine et Pierre en train de se chicaner, ENCORE la famille d’extrême-droite interrompue par la bonne qui reçoit des menaces de mort par téléphone.

J’ajoute que ce roman, tout en me faisant rire, a réussi à planter en moi plusieurs graines de profondes réflexions sociales. Vivez l’expérience et vous serez satisfaits, surtout si comme moi, vous vous prenez pour des intellectuels.

 

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En 1ère position

Proxima du centaure, de Claire Castillon
(Flammarion jeunesse 2018)
À partir de 15 ans environ

Ce livre est inracontable, et quand je tente de le pitcher, je fais fuir mon auditoire à chaque fois. Mais comme je suis super têtue et que j’ai super raison sur sa qualité, je vais super réessayer pour toi.

C’est l’histoire d’un garçon (Wilco) qui est amoureux (très), et tombe de sa fenêtre (fort) jusque dans un lit d’hôpital (froid). Il y reste tétraplégique. Et il reste amoureux.

Donc oui, le pari c’est de te raconter une histoire passionnante alors que le héros est très vite dans un lit d’hôpital et que non, je t’arrête tout de suite, il n’en sortira pas. En revanche, la narration, elle, en sortira… On suit tous les personnages : sa famille, ses amis, celle qu’il aime et qu’il appelle « Apothéose »… et c’est magnifique.

Proxima du Centaure est porté par un style laxe, poétique et élégant, qui fait péter les verrous de plusieurs conventions narratives de façon libérale et jolie, flirte avec le réalisme magique, et propose une esquisse intime et romantique du petit bout d’humanité qu’est Wilco.

C’est un très beau roman, certes un peu « perché », qui fait le pont entre l’adolescence et l’âge adulte d’une façon étonnante et merveilleuse.

 

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J’AI FINI ! MOI-MÊME JE N’Y CROYAIS PLUS.

Tu noteras qu’il y a, dans ce Top 2018, des romans issus de la littérature ado, et des romans issus de la littérature générale : j’ai voulu proposer une liste faisant le pont entre ces univers.

C’est pourquoi tu n’y trouves pas mes coups de cœur jeunesse 2018 (mais tu peux les consulter dans ce top à part) ni mes coups de cœur résolument adulte*, ceux qui ne jettent aucun fil vers l’adolescent au fond de toi, et s’adressent vraiment à l’adulte tourmenté que tu es (certainement) devenu·e (désolée).

En revanche, tu trouves 15 excellents romans,
que je te remets dans l’ordre de 1 à 15 :

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J’ai donc 8 mois de retard par rapport à tous les tops sortis en janvier, mais c’est un choix politique : ça fait longtemps que je réfléchis à une ligne d’articles #AntiRentrée parce que ça me saoule d’être inondée tous les mois de septembre par — pourquoi tu continues de lire tu sais très bien que je raconte n’importe quoi !

À très vite pour d’autres articles,
(HAHAHA) (j’ai dit « très vite »)

Julia

Lupiot Allez Vous Faire Lire

* Ce top-là, je ne le ferai pas, mais pour les curieux, mon n°1 est Aurélien, de Louis Aragon.

Top 2018 partie 1
Top 2017
Top 2016
Top 2015
Top 2014

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10 réflexions sur “TOP LITTÉRATURE 2018. Partie 2 : ado-adulte

  1. Bon, j’ai envie de lire plein de trucs, à savoir des romans de Sarbac (étonnant ?) et de Sarah Crossan (étonnant bis ahah).
    Mais ton top 3 ? (enfin le 3e j’ai pas lu, donc nop). Je me suis souvenu que j’avais lu Proxima du Centaure en lisant ton article, genre « Ah ça me dit quelque chose ! », mais tu vois, souvenir hyper lointain… Pas un mauvais, mais dans les tréfonds de mon indifférence ahah.
    Et Brexit Romance, j’ai du mal encore à le dire à haute voix mais en fait je suis déçue. Pareil, je l’oublie, il revient à la surface de temps en temps parce que l’écriture est géniale, les thématiques hyper intéressantes mais je trouve que c’est un roman « blague d’initiés » (et pourtant, comme j’aime ce qu’écrit Clémentine Beauvais). Mais non, BR restera un peu au fond de ma bibli.
    Bon, envie d’aller chez le libraire tout de même !

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    • J’imagine sans peine ton souvenir lointain de Proxima, après un énorme coup de cœur en janvier 2018, je l’ai un peu « oublié ».Je pense que cette propension à se faire oublier tient au fait qu’il ne se passe pas grand-chose, c’est un peu maigre narrativement. Je me suis replongée dedans récemment pour me rappeler pourquoi je l’avais tant aimé, et ai été à nouveau époustouflée, saisie, c’est une expérience de lecture renversante ❤

      Brexit : c'est vraiment intéressant, tu n'es pas la seule à m'avoir dit ça, mais je ne suis pas d'accord sur ce truc de "blague d'initiés". Je trouve cette critique complètement vaine et, après m'être penchée dessus, je crois que c'est parce que je ne la trouve pas très "honnête envers soi-même". Hear me out : personne ne critique comme reposant sur des "références d'initiés" des œuvres qui parlent de choses qu'on ne connaît pourtant PAS (que sais-je : la compétitivité intellectuelle, raciale et sociale dans les universités américaines ; la tension sexuelle et le harcèlement très singulier à l'œuvre dans les lycées britanniques ; touuuuuute la tendance collapsologue qui inonde le marché occidental et nous fascinent) et qui blindent pourtant nos livres, films, chansons et relèvent tout autant de préoccupations très très étroitement liées à une expérience (de vie, de pensée) elles-mêmes singulièrement étroites (pour ne pas dire très White CSP+), comme dans Brexit Romance.
      Mon analyse c'est donc qu'on n'identifie la "blague d'initié" comme critiquable que lorsque l'on se reconnaît soi, personnellement, dans le milieu décrit — et qu'on s'y reconnaît imparfaitement.
      Car pour les autres — qui ne s'y reconnaissent pas du tout — c'est tout simplement exotique, différent.
      Et ce qu'on ne comprend pas complètement, en littérature, n'a jamais été un frein à la découverte, au dépaysement, etc. (cf. quand tu lis Dickens, Homère, Tolstoï, ou tout connement de la littérature américaine contemporaine, ou encore plus connement quand tu lis *enfant¨*, beaucoup d'éléments te sont flous, étrangers, sont les éléments d'initiés d'un groupe qui n'est pas le tiens).
      Je crois donc que ce qui gêne ici des lecteurs comme toi ou Killian (qui m'a fait la même remarque) ou d'autres, c'est que c'est *notre* milieu et que *nous* ne nous y reconnaissons pas parfaitement, n'avons pas exactement les mêmes codes ou références. (C'est mon cas aussi : c'est mon milieu et pourtant je ne suis pas d'accord avec tout, je me reconnais pas dans tout…) Et ma seule réponse c'est : … so what ? x) Est-ce que c'est pas complètement vain et autocentré comme critique ; est-ce que ça n'interroge pas plutôt notre propre positionnement social, nos propres gênes et malaises et éthiques et références, que ceux du roman et surtout, que sa qualité ? Bref, une longue analyse pour éclairer mon sentiment global de "so what…" xD

      Et toi de ton côté ce serait quoi ton top 3 de 2018 ? (Ou 5 ou 10 !!)

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      • Alors pour le coup, je me suis complètement reconnue dans Brexit Romance et, j’ai vraiment beaucoup ri par moments, j’adore le fait que tous ces sujets soient mentionnés, la politique, l’écologie, et surtout toutes nos contradictions quand on se penche sur ses sujets. Je me demande si ce n’est pas le traitement (notamment sur ce franglais peut-être), qui moi m’a fait rire, ou ce surplus qui fait que… Ca me parle, me plait, mais… Il y a un truc.
        Je l’ai fait lire à ma mère, à la mère d’une copine (alors qui ne sont pas le public cible, je te l’accorde – mais du coup, je m’interroge sur le public cible adolescent par forcément bilingue, qui peut trouver ça mal écrit), d’autres copines, et quand elles ont réussi à aller au bout, ont eu ce même : « Ok ».
        Je ne saurais te dire quoi exactement, mais je l’ai fini et c’était : « Ok. » C’est bien écrit, c’est riche, c’est drôle, mais rien. C’était peut-être trop moi ? (Parce que franchement, entre Justine, ses soirées avec ses potes féministes et autre, j’ai plutôt rougi de voir que ma vie était si « predictible » ahah).
        Mais nop, pas ce que j’attendais d’un roman, et d’un roman ado ?
        (Désolée, impossible de mettre le doigt précisément sur ce qui gratte !)

        Et mon top 3 de 2018… Je te dirai Le Choeur des Femmes de Winckler (malgré troooop de drame), L’Art de la Joie de Sapienza et Sorcières de Mona Cholet, mais c’est assez biaisé, parce que je crois que ce sont les livres que j’ai attendu toute ma vie, mais que je n’aurais pas su apprécier avant l’été dernier ! (Ah lala, quel être de contradiction cette Julie !)

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  2. J’aimerais avoir ton talent d’écriture (j’ai beaucoup ri à la lecture de ton article) et de persuasion (j’ai – presque – envie de tout lire ; enfin ceux que je n’ai pas déjà lus, cela s’entend) ! Peut être que le secret est dans un de ces livres ? J’espère que ma bibliothèque ne me décevra pas !

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  3. Je n’ai lu que Proxima du Centaure, Sirius et La Vraie vie (que j’ai peut-être moins apprécié que toi trouvant que l’autrice tombe parfois dans la surenchère), mais si le reste de ton top est de cette qualité, je signe tout de suite.Je dois en avoir deux ou trois dans ma PAL comme Brexit dans lequel j’hésitais à me lancer, à tort apparemment…
    Je suis contente de trouver dans ton top Proxima du Centaure qui est un petit bijou dont j’aimerais entendre parler bien plus souvent. Du coup, merci 🙂

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  6. « Okayyy, je sais ce que vous allez dire : « Mais c’est vieux, ce truc, là, Julia !… » Ce à quoi, en tant que gosse de treize ans coincée dans un corps d’adulte, j’aurais envie de répondre que ta mère aussi est vieille et tu lis encore ses textos, yo. » Mouahaha j’adore xD
    Pour le coup tu m’as donné envie de le lire ce Romain Gary 😛

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