Le sel de nos larmes, de Ruta Sepetys (Gallimard Jeunesse, 2016)

Article par Patatita

Hé, bonjour toi, mignon petit pavé déniché au magnifique (*paillettes et arc-en-ciel*) Salon du Livre Jeunesse de Montreuil.

4 voix se croisent.

Pourquoi Johana, brillante infirmière Lituanienne, est-elle poussée par le besoin irrépressible de sauver tous ceux qu’elle croise ? Qui est Florian, cet Allemand qui fuit sans vouloir donner son nom, et qui, étrangement, ne porte pas d’uniforme militaire ? Qu’est-ce qui pousse Emilia, jeune Polonaise qui semble cacher un lourd secret sous son manteau ? Et quel Alfred faut-il croire : le dévoué marin du Reich, ou le jeune homme qui se terre au fond d’une cale ?

La culpabilité, le destin, la honte, la peur ; le chemin de ces quatre adolescents, pris entre les tirs croisés de Staline et Hitler, les mène vers une échappatoire inespérée : le Wilhelm Gustloff, immense navire qui doit emporter des milliers de réfugiés loin du front.

Warning :
ne pas s’approcher de ce roman d’un air attendri,
la bouche en cœur, prêt à pincer ses bonnes grosses joues :
vous risqueriez de vous prendre un raz de marée émotionnel en pleine figure !

POURQUOI C’EST BIEN

  • #1. Un suspense machiavélique

Déjà, le rythme : le livre est bourré d’action comme une viennoiserie l’est de bon beurre. Les chapitres sont très courts (quelques pages chacun, parfois une phrase), et ils font alterner les points de vue : on passe ainsi sans cesse d’un narrateur à l’autre. Ce procédé, qui peut facilement être un piège, est très bien maîtrisé par l’autrice, qui met en place un insoutenable et diabolique suspense. C’est typiquement le genre de livre qui reste inexplicablement scotché à vos doigts.

Chaque personnage dissimule quelque chose, que ce soit aux autres, ou à lui-même. Le roman entier joue à cache-cache avec le lecteur, et là encore, Bam ! Suspense.

  • #2. Des personnages au poil

Bon bon bon, ils sont tout ce qu’on aime chez des personnages (enfin, tout ce que j’aime, moi). Ils sont profonds, évoluent au cours du roman, éprouvent des sentiments forts, et sont profondément humains. Pour le meilleur comme le pire. (Mouahahahah). Mais encore ?

  1. Certes, les sentiments entre certains personnages sont un peu prévisibles… mais est-ce vraiment là que doit se cacher le suspense ?
  2. Les personnages secondaires, comme le Poète de la Chaussure, Ingrid, Eva la Géante sont un vrai régal : touchants, complexes, surprenants.
  3. Certains personnages sont très ambigus (Eva ou Alfred, par exemple). Les trois protagonistes échappent un peu à l’ambiguïté, mais sans être lisses pour autant. Ils ont simplement très peu de défauts (comme vous et moi, quoi).
  • #3. C’est pas de la gnognotte

L’autrice ne survole pas la violence et l’horreur de la thématique qu’elle a choisie, au contraire. Ce roman est dérangeant, à plusieurs points de vues :

  • Certaines scènes sont très crues. Ruta Sepetys n’hésite pas à représenter avec force détails la violence, ni à proposer des images choquantes — sans pour autant verser dans le gore ni dans un voyeurisme malsain.
  • Du coup, il fait réfléchir. Je suis tranquillement avachie devant le cheminée, et je suis en train de lire que des enfants meurent de froid dans la neige. Gloups.
  • L’immersion dans la tête d’un personnage entièrement convaincu par la propagande nazie, à la première personne, donne également froid dans le dos.

Dans le genre, lire le troublant Max,
de Sarah Cohen-Scali.

  • #4. La finesse dans l’absolu

Ce roman ne donne pas une vision manichéenne du monde : même si parfois on frôle d’un cheveu le pathos ou le cliché, l’autrice l’évite selon moi par la justesse des sentiments et une documentation en béton armé. Tout est dans la nuance. Elle raconte avec réalisme l’horreur de la guerre, mais ne fait pas l’erreur de rester dans un seul registre. Au contraire, elle arrive à montrer (en nous laminant bien au passage) cette faculté ahurissante de l’être humain de produire le pire comme le meilleur, et au milieu des situations les plus terribles, des êtres les plus abjects, il y a de magnifiques moments de générosité, d’amour, de grâce.

Et parce que ça fait pas de mal non plus :

C’est vrai, je suis la première à préjugeoter sur les romans un poil historiques. Tendance « allez, mange ta salade ».

Quand on me fait la morale

Mais pour reprendre la métaphore de la salade, ici on est plus dans le « Tiens, j’adore les courgettes, et en plus, c’est bon pour la santé ! ». Bref, ce livre est le légume parfait.

Par ce livre, l’autrice dévoile des pans de l’Histoire peu connus. Elle fournit un travail mamouthesque de documentation : des années de recherches, des renseignements collectés auprès de professionnels, des témoignages de survivants.

Mais tout cela reste un roman. On n’a absolument pas l’impression de potasser un manuel d’Histoire, au contraire. Elle transmet l’émotion à l’état brut.

Elle opère une transmission émouvante entre les générations. En partageant ces souvenirs, ces faits, elle passe à son tour aux lecteurs ce que d’autres lui ont offert : une mémoire. Ce serait tout de même bête d’oublier. N’est-ce pas ?

EN CONCLUSION

On sort de l’incognito historique pas mal de choses, tout en étant emporté par l’action, l’émotion, et de formidables personnages. What else ?

Bonne lecture !

Patatita

P.S. : je lis assez peu de romans historiques (vous vous rappelez, la salade …). Mais si vous aimez, voilà deux appétissantes courgettes, pleines d’humanité et d’émotions  :

  1. Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre, de Ruta Sepetys, toujours dans l’optique de révéler une tragédie historique plutôt délaissée par l’opinion publique, et qui concerne directement son expérience familiale. Touchant, dur et beau.
  2. Max, de Sarah Cohen Scali. Alors là. Certainement un des romans qui m’a le plus dérangée de ma vie, le plus remise en question. On voit le monde au travers du regard de Max, né de parents sélectionnés pour leur prétendue appartenance à une « race d’élite », et élevé dans la propagande nazie. Terrifiant, juste, déchirant.

3 réflexions sur “Le sel de nos larmes, de Ruta Sepetys (Gallimard Jeunesse, 2016)

  1. Coucou ! Alors, comment te dire que ta chronique est juste… brillante. Elle m’a rappelé de plein fouet tout ce qui fait que ce roman a su me chambouler à la façon d’une mer déchaînée il y a deux ans. Congrats ! Ça me donne d’ailleurs vraiment envie de le relire et de me faire du mal à nouveau tiens… Bref, je suis on-ne-peut-plus d’accord avec toi, que ce soit pour Le sel de nos larmes que pour Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre (Ruta Sepetys, cette autrice de génie). Quant à Max, il faut absolument que je le lise… I’m not reeeaaady !!!

    J’aime

  2. Ce roman avait tellement suscité de choses en moi ! Une de me lectures les plus bouleversantes ! Des personnages complexes, des destins croisés, une réalité douloureuse ! Ruta Sepetys sait nous malmener mais c’est pour la bonne cause !

    « Ce qu’ils n’ont pas pu nous prendre » est une claque monumentale. Le film ne devrait pas tarder à arriver sur nos écrans, je suis déjà toute chamboulée à l’idée de voir ce film qui promet d’être puissant.

    Et puis « Max » est un livre unique, bouleversant… Une lecture si intense et à la fois dérangeante !

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