La littérature change la vie — Histoire(s) vraie(s)

Il n’y a pas longtemps, mais vraiment pas longtemps, quelque chose comme 14 jours de ça, j’ai lu un livre que j’ai bien aimé. Jusqu’ici, c’est l’anecdote la moins excitante que tu aies entendue depuis celle du mug de thé qui a refroidi parce qu’on l’avait oublié. D’ailleurs, tu me lis d’un intérêt pareillement tiède en ce moment. Reste, s’il te plaît. J’ai lu un livre que j’ai bien aimé, et qui devrait n’être qu’un titre cool parmi tous les titres cool de ma liste annuelle, et il y en a un paquet, toi-même tu le sais.

OR, ce livre reste en moi de façon tout à fait singulière et pour une raison totalement indépendante de ses qualités littéraires (par ailleurs formidables).

Pour faire court : depuis la lecture de Jefferson, de Jean-Claude Mourlevat, j’ai décidé de ne plus manger de viande.

Mais je ne vais pas vous parler de végétarianisme. Du tout.

OUF.

Ce livre, pour anodin qu’il est dans ma vaste expérience d’exploration littéraire, a déclenché un éveil en moi. Mieux qu’un millier de vidéos, discussions, démonstrations intellectuelles et infographies colorées, il m’a parlé.

Or, comme ce n’est pas la première fois que ça m’arrive, c’est de ça que j’ai envie de vous entretenir aujourd’hui.

Du pouvoir qu’a la littérature de changer la vie.

La littérature change la vie, non pas en faisant la leçon, mais en tant que littérature. Parce qu’on a besoin d’histoires pour être ému, d’une voix qui nous parle pour se reconnaître dans l’autre. Combien de fois tu t’es dit en lisant « Ohmondieu je pensais être le seul weirdo à faire ça ! » et cela t’a uni, dans un grand élan cosmique, avec tous les autres weirdos de l’univers.

La littérature te permet d’apprendre à te connaître, de t’ouvrir aux autres dans leurs différences inattendues-qui-ressemblent-aux-tiennes, de t’interroger sur des aspects du monde qui t’apparaissaient jusque là tout à fait lisses-normaux-boring et de te chambouler par petits taquets excitants, comme ça, en loucedé, sous la couette, pendant que tu lis Tintin.

Enfin peut-être pas Tintin. Mais qui sait.

Aussi, puisque les discours ne valent rien et que j’ai déjà beaucoup trop parlé, je laisse la place aux témoignages.

La littérature ouvre au monde

« Je suis devenue féministe à la lecture de La Servante écarlate qui a été un véritable électrochoc : il m’a douloureusement fait prendre conscience que ce que je croyais acquis en terme de droits des femmes ne l’était pas et que le féminisme dont je me moquais éperdument était plus que nécessaire. »
Marie-Ca (Les Lectures du Monstre)

« Le Guépard m’a fait m’apercevoir que la littérature pouvait être un lieu de création artistique et visuelle, génératrice de beauté au même titre que la peinture. Je me souviens encore de mon émoi devant cet incipit qui m’est apparu comme un morceau de beauté et d’élégance. »
Maxime

« Être seule sur les plateaux de Que ma joie demeure (plateaux que je connais bien), être seule dans cette nature parfois hostile mais toujours vue dans sa magnificence, m’a permis de me retrouver. De me poser la question de la joie, du don, de ce qui est important. Et ce qui est important, pour être en paix, c’est la paix elle-même. Giono m’a menée sur la voie du pacifisme. »
Lucie A. (Dans ta page)

« Quand j’avais 15 ans, Ravage m’a tellement rendu dingue par sa misogynie qu’il m’a, en fait, ouvert les yeux sur toute une dimension de sexisme ordinaire. Ça a pas mal contribué à mon éveil au féminisme. »
Julia, alias Lupiot

« Sirius a réveillé la part animale en moi : j’ai ressenti avec une cruelle empathie la douleur animale et plus largement celle de tout un monde qui s’éteint. Alors j’ai commencé à manger moins de viande et à rester alerte aux langages non humains. »
Tom
(La Voix du Livre et Boitamo)

« Jefferson, tout mignon qu’il est, m’a fait prendre conscience de l’absurdité de l’industrie de la viande, et m’a fait devenir végétarienne. »
Julia, alias Lupiot

§

La littérature ouvre à soi

« L’insoutenable légèreté de l’être m’a bouleversée à 19 ans. Il m’a fait comprendre que sexe et amour pouvaient se dissocier, et que mes désirs pouvaient être différents de ce que la société me dictait. Je me souviens de la fin de la culpabilité : celle de désirer celui qu’il ne « faut pas », celle de désirer sans aimer, celle de désirer tout court. »
Julie

« Walden m’a permis de percevoir quelles étaient mes véritables aspirations : vivre sobrement et humblement, en me méfiant des séductions qui ne mènent à rien. Peut-être que ces aspirations ne sont que des séductions romantiques (le rêve de l’isolement solitaire loin de l’agitation civile), toujours est-il qu’elles ont trouvé en moi un vrai écho. »
Maxime

« Chromatopsie m’a fait comprendre que la violence que je ressentais en m’empêchant d’être moi-même était peut-être l’une des plus fortes mais sans doute pas la plus insurmontable. Je me suis donc décidé d’assumer pleinement qui j’étais et notamment que j’étais gay. »
Tom (La Voix du Livre et Boitamo)

« Chroniques et croquis des villages verrouillés m’a fait m’apercevoir de mon attachement à la Basse Bretagne, et m’a fait prendre conscience de la tristesse de son histoire récente. »
Maxime

« Songe à la douceur m’a fait comprendre qu’en amour on avait toutes les libertés : Eugène et Tatiana m’ont appris à aimer avec intensité et sans concession, et à construire les histoires d’amour de mon choix. »
Tom (La Voix du Livre et Boitamo)

« En un combat douteux m’a fait prendre conscience que j’étais communiste, ou que je voulais le devenir, et que c’était un travail de le devenir… »
Vincent

§

La littérature guérit

« C’était dans Veronika a décidé de mourir de Paolo Coelho, que j’ai lu ado. Je me suis rendue compte que j’avais le droit de ne pas bien aller et surtout de demander de l’aide. J’ai appelé ma mère pour qu’elle vienne me chercher au lycée. Et elle est venue. Sachant que mon lycée était à 45min en voiture. »
Coline

« Quelques minutes après minuit m’a donné la force de décrocher mon téléphone pour appeler ma grand-mère souffrante d’un cancer fulgurant et lui dire que je pensais à elle, en sachant pertinemment qu’en raccrochant c’était la dernière fois que j’entendais sa voix. »
Lucie K.

« La lecture de Rosa Candida, parce que c’est l’histoire de la douceur et de la simplicité et de la vie comme elle vient, m’a permis de sortir définitivement d’une période dure de conflit avec moi et les autres. C’est le roman de l’acceptation et de la confiance et il m’a offert l’apaisement, m’a permis de regarder avec beaucoup de tendresse mes moches années passées, en fermant la porte. »
Lucie A. (Dans ta page)

« Cœur battant m’a fait réaliser une bonne fois pour toutes que le suicide n’est pas la solution et me voilà enfin en paix avec moi-même. »
Anahita (antreducolibri sur insta)

§

La littérature ouvre à l’autre

« V pour Vendetta a été ma lumière dans une éducation obscurantiste. Le passage où un personnage homosexuel demande : « Pourquoi ont-ils si peur de nous ? » a provoqué une vraie remise en question. J’ai réalisé que la peur était un épouvantail aux couleurs grises, et que je préférais une vie en couleurs. »
Nicolas (Juste un mot)

« En témoignant de l’Holocauste à travers le point de vue d’une enfant, Sur la tête de la chèvre a été le premier roman à me faire prendre conscience de l’importance de ne pas répéter les horreurs du passé. Depuis je fais tout pour ne pas juger les autres cultures et rester ouverte même aux différences les plus difficiles à comprendre, car c’est ainsi que tout commence. »
Audrey

« C’est en lisant Le comte de Monte-Cristo ado que j’ai compris soudain que le langage était un cycle, car la langue de 1850 m’apparaissait beaucoup plus moderne que celle de 1950. Ça m’a complètement remise d’équerre, me réconciliant avec tout ce que je considérais comme « ringard », « daté » ou « n’étant pas du bon français », et m’a permis d’arrêter de me payer la tête de pas mal de gens. »
Julia, alias Lupiot

« En montrant le labeur répétitif des invisibles (serveurs et autres personnel d’entretien), Journal intime de Chuck Palahniuk m’a fait prendre conscience de la nécessité fondamentale de laisser une chambre, une table ou tout autre endroit où l’on passe dans l’état où on l’a trouvé, surtout si cela peut alléger le fardeau d’un autre. »
Nicolas (Juste un mot)

« Le soir après que j’ai fini Eddy Bellegueule, je suis passée en voiture avec mon copain devant un restau type chinois-sushi-asiatique-buffet à volonté. Et d’habitude je me moque de ce genre de restau, mais ce soir-là je l’ai pas fait parce que je me suis dit qu’il y avait probablement des gens pour qui c’était la seule sortie habituelle et qui étaient vraiment contents d’y aller. Ce livre m’a fait prendre conscience du côté classiste de certaines de mes blagues. Et je dis pas que j’ai arrêté d’en faire, mais au moins j’y réfléchis. »
Aylin (aylin_manco sur insta)

§

En attendant dimanche prochain, si tu souhaites partager ton expérience de livre qui a déclenché un éveil, que cet éveil soit éthique ou intime, anodin ou crucial… n’hésite pas. J’ai très envie de lire d’autres témoignages.

À vite,

Julia, alias Lupiot

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23 réflexions sur “La littérature change la vie — Histoire(s) vraie(s)

  1. Ooooh merci pour cet article ❤ Ce n'est pas comme si je risquais d'oublier à quel point la littérature est une vrai miracle mais ça fait quand même chaud au coeur de se rappeler à quel point c'est vrai =D
    Le livre qui a changé ma vie c'est Le Faire ou mourir de Claire-Lise Marguier. Ça à été un électrochoc, j'ai pleuré pendant trois jour après l'avoir fini et ça m'a permis de réaliser plein de choses sur lesquelles je n'avais pas réussi à mettre le doigt jusque là et ce roman m'a aussi permis de sortir d'une phase pas géniale de ma vie. Depuis je n'ose plus le relire mais j'en garde un souvenir très fort =D

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  2. Merci pour ce post, si revigorant, et qui donne quelques excellentes idées de lecture/relecture!
    Pour ma part, le premier énorme bouleversement, qui a rendu mes lectures antérieures plus modestes, c’est Racines d’Alex Haley que j’ai lu à 13 ou 14 ans. J’ai réalisé que le témoignage de tout ce qui fait la destinée humaine ne doit jamais s’arrêter, que la littérature a cette force de garder et transmettre la mémoire des tragédies pour qu’elles ne se reproduisent jamais et que nous étions tous héritiers d’une histoire collective qui nous déterminait individuellement, et ultime évidence, que nous étions une seule espèce.
    J’ai ensuite voulu mourir d’amour comme Phedre ou Madame Bovary, j’ai développé mon humour ironique (qui fait encore la joie de mes proches😬) après avoir lu Desproges, et vécu mille autre émotions littéraires qui m’ont formée mais je n’oublierai jamais cette première claque que fut Racines.

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    • Merci pour ton témoignage !! Dans le genre bouquin que j’ai relu un milliard de fois ado et qui a été une sorte de révélation que-je-saurais-pas-dire-pourquoi, il y a eu Vipère au poing, pour moi. (Va savoir…)

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  3. Bien sûr que la littérature change la vie – et je suis d’accord avec toi pour dire que certains titres ont forcément parfois changé ma vision de certaines choses.
    L’exemple le plus marquant pour moi serait peut-être « Jours sans faim » de Delphine de Vigan. Je l’ai lu à une période où je n’allais pas bien du tout et il m’a donné la force d’avancer et de voir les choses autrement. Rien que pour ça, il est précieux pour moi !

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    • Le seul Delphine de Vigan que j’ai lu (Les heures souterraines) m’a tellement drainée (je ressentais un malaise gris pendant toute la lecture, un genre d’ennui mêlé de haut le cœur) que je n’en lirai sans doute pas de nouveau avec un moment. Merci pour ton témoignage en tout cas. Des livres précieux comme ça j’en ai quelques-uns, et parfois je ne saurais pas du tout les « recommander » véritablement…

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  4. Pingback: C’est le premier je balance tout #22

  5. Merciii pour cet article, tellement nécessaire !
    Pour ma part, je ne retiens qu’un titre qui m’a brutalement ouvert les yeux et m’a totalement fait changer ma consommation face à l’obsolescence programmée : Les fils conducteurs, de Guillaume Poix, c’est sorti à la rentrée 2017 et depuis je vois vraiment d’un oeil mauvais le monde des nouvelles technologies. Ça parle de trois gamins miséreux qui trient les déchets électroniques dans une décharge nommée Agbgbloshie, au Ghana (les images sur Google sont édifiantes) et qui en meurent très jeunes… Inoubliable.

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    • Je viens de googliser Agbgbloshie et en effet. Ouais je comprends complètement l’éveil que ça a pu déclencher, et en fait je pense que nos prises de conscience de ce genre se font (sans doute comme toutes les prises de conscience) parce qu’elles entrent en résonance avec quelques questions qu’on se posait déjà. Et parfois ça déclenche un éveil beaucoup plus vaste que le sujet précis du bouquin… par ex., Jefferson m’a conduite à me dire que j’allais arrêter de manger de la viande, mais en fait ce changement-là est presque anodin par rapport au reste qui a suivi aussitôt : j’ai décidé de vivre de façon plus « green », et ça rejoint un peu ton regard mauvais sur certaines technologies…
      Merci pour ton message !

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  6. Un très beau post ! Plusieurs de mes lectures m’ont également beaucoup impactée, notamment Carrie, lu à l’époque où j’étais harcelée au lycée. Je me suis soudain sentie moins seule et la vengeance de Carrie a été un vrai exutoire. Il y a eu aussi Le Seigneur des anneaux, qui m’a fait comprendre que les univers imaginaires que j’aimais bâtir pour m’y promener, d’autres personnes en créaient aussi et en faisaient des histoires que je me suis ensuite empressée de lire. Et quelques autres, encore…
    Merci d’avoir partagé ces histoires avec nous.

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  7. C’est vrai que cet article énonce une évidence qu’il est important de rappeler;
    La lecture permet de réfléchir sur sa vie, de mieux la comprendre, de l’accepter parfois et j’ai même une amie à qui elle permet tout simplement.de vivre.
    Le tout premier livre qui m’a fait comprendre cela est La mousson de Louis Bromfield que j’ai du lire vers mes 15 ans.
    Cela se passe en Inde (plutôt celle de Kipling) et cela raconte la transformation de tout un tas de personnes pendant et après la mousson catastrophique du titre .Certains se révèlent plus courageux ou désintéressés qu’attendus et d’autres bien moins.
    Cela a été une révélation pour moi de découvrir que les êtres ne sont pas figés, peuvent se révéler, se transformer profondément selon les circonstances. Cela m’a donné de l’espoir et le gout d’essayer de comprendre mieux les autres et aussi soi même. Cela m’a donné envie de réfléchir su les mécanismes de l’esprit et d’être plus ouverte aux autres.
    Cela a très longtemps été mon livre de référence même si cet auteur est bien oublié de nos jours.
    Merci pour toutes ces découvertes.

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