Colorado train, de Thibault Vermot (Sarbacane, 2017)

Article par Bloup

Impatient(e) de retrouver les héros de la série Stranger Things ? Avant de vous plonger dans la prochaine saison, voici un petit quelque chose pour vous remettre doucement dans l’ambiance…

1949, ville de Durango, État du Colorado. George, Suzy, Don, Durham, Michael et son frère Calvin, sont inséparables. La vie qu’ils mènent paraît tout à fait normale pour des adolescents d’après-guerre : entre deux plans pour fabriquer des fusées, ils cherchent à éviter les mouises avec Moe et sa bande, les affreux de la ville. Ce quotidien aurait pu ne connaître jamais de fin, mais un train arrive un jour avec un passager clandestin… Doucement, une menace s’installe autour des héros, une menace qui finira par les prendre en chasse !

POURQUOI C’EST COOL

  1. La bande de copains inséparables

L’amitié entre les 6 personnages principaux est dépeinte de manière toute simple et authentique : chacun avec sa personnalité, ils se complètent, se chamaillent, se serrent les coudes… Bref, ils sont joliment unis et laissent entrer sans peine le lecteur dans leur cercle.

Même dans leur manière de parler, les personnages (ados en 1949) font très authentiques (petites insultes affectives, introductions de parties en anglais telles qu’on peut en dire dans notre quotidien après avoir regardé trop de séries américaines — ou juste de la pub, les petites phrases en anglais sont partout autour de nous). Par exemple

– T’as des preuves ? T’as des détails ?
– Bah non.
– Bah, ferme-la mon gros. Just sit and think. (p. 82)

Ce petit élan de modernité, comme l’élève du fond de la classe qui essaie de se la jouer cool en introduisant des formules anglaises stylées (prononcez “staïlé”) et toutes faites dans son discours, aide à plonger dans l’ambiance dans laquelle vivent ces mômes. La “rupture linguistique français-anglais” permet également au lecteur de re-situer l’intrigue (ah oui, les US d’après-guerre, c’est vrai qu’on cause english là-bas, en vrai) et d’en rester le spectateur averti.

  1. Des problèmes sociaux

Quand ils ne sont pas ensemble, les 6 personnages principaux vivent avec leur famille (naturellement, car ce sont des ados), notamment (spoiler alert) leurs parents. C’est donc à travers le cercle familial que sont subtilement évoqués (parfois seulement effleurés comme la brise du matin) quelques travers de la société. Dans le désordre, on a : l’absence du père, la violence, la colère, la pauvreté… Des soucis qui ne prennent pas une ride et qui poussent à se demander : mais en fait, le vrai monstre dans cette affaire, c’est qui, c’est quoi ?

  1. L’écriture fine qui plonge dans une ambiance angoissante à souhait

En plus du rythme mystérieux (les chapitres se terminent souvent sur une note inquiétante, un suspens bien maîtrisé), les pages où la parole est donnée à “la menace” sont une vraie merveille à lire (le genre qui donne envie de lire à voix haute, scandant les mots debout sur son lit défait). Avec très peu d’indices au début, on finit par comprendre son histoire et tout fait sens… Même l’incompréhensible et l’innommable !

D’ailleurs, un passage en particulier révèle l’intelligence de l’écriture : la bête voit un panneau “Durango” dont quelques lettres sont effacées et lit DRANG. En allemand, cela signifie “désir, besoin”. Et tout ça juste après la seconde guerre mondiale… (oui oui, il y a un lien, croyez-moi).

Le récit de la bande d’ados est entrecoupé de ces passages du point de vue “du monstre” et c’est ce qui fait toute la richesse du livre.

  1. Des références à notre culture cinémato-horrorifique (et pas que)

Une ambiance à la Stranger Things, E.T., Super 8, et surtout, à Ça, de Stephen King, et plusieurs films des années 80 à la BO épique… Impossible de ne pas avoir cet univers en tête à la lecture !

Descendre du train à Durango pour retrouver ces ados, c’est presque mettre des visages connu sur de nouveaux noms. L’ambiance est familière, les décors renvoient à des effluves savourées… Et puisque tout ça fait bon écho, pourquoi hésiter ? On est un peu chez nous, dans ce bouquin. Bien lottis à côté la cheminée en hiver, emmitouflé dans un pull en laine made-in Mamie : il gratte un peu, ce pull, comme tous les autres, mais le motif est différent. Du coup, impossible de (trop) tomber dans le déjà-vu.

Outre l’ambiance “film d’horreur-mignonet à la Spielberg”, on peut retrouver dans l’histoire et les thèmes évoqués d’autres références selon son propre background de lecteur et connaisseur du genre. Pour ma part, impossible de ne pas penser au livre de Joseph Boyden, Le chemin des âmes, au contexte très différent mais que je cite pour :

  1. Ses références au “Wendigo”, créature du folklore amérindien/américain (et, de manière générale, à la terrible réflexion autour de la perte de l’humanité au profit de la bestialité).
  2. Sa manière très poétique et génialement fluide de lier son temps de narration à des scènes du passé. Bien que moins systématique dans Colorado train, certains flashbacks ou description de cauchemar (je pense à Michael) utilisent ce procédé qui oblige le lecteur à se demander où il est.

Tout ce déferlement de références personnelles invite le lecteur à se mettre à l’aise… pour mieux le faire trembler !

POURQUOI VOUS POURRIEZ ÊTRE DÉÇUS

  1. Un début lent à se mettre en — SURTOUT si vous avez lu la 4e de couv

C’était pas comme ça avant, si ? Quand est-ce que c’est devenu une mode de raconter en 4e de couv un événement qui n’arrive qu’au milieu du livre ? Pendant toute la première moitié, on attend donc cet événement, on guette les indices… et on se gâche le plaisir du suspens et du retournement de situation ! C’est clairement le cas ici. Alors que les premiers chapitres sont parfaits pour installer l’ambiance et connaître les personnages, on ne se focalise que sur une chose : CE truc qui est censé arrivé, et qui n’arrive pas. Du coup, ça semble long. Et c’est dommage.

* — Donc : ne lisez pas le résumé — *

Ici, autre chose peut faire penser que l’intrigue est lente à se mettre en place : avec 6 personnages principaux, le temps de présentation de chacun (pas toujours approfondie de manière équilibrée) s’étale sur plusieurs chapitres où il ne semble pas se passer grand-chose. Alors, certes, c’est indispensable de bien cerner les personnages principaux, mais ici le sentiment global peut être qu’on ne fait qu’effleurer longuement des scènes de vie ordinaires. Mais comme je le disais plus haut, cet effet a, pour mon cas, sans doute été biaisé parce que j’attendais qu’il se passe “ce truc” comme Willy Wonka attends Pâques.

Lupiot Allez Vous Faire Lire{Intervention intempestive de Lupiot, qui peut pas s’empêcher : Personnellement, cette incarnation des héros au début du récit est, à l’inverse, ce que j’ai préféré dans le roman, d’abord parce que les scènes sont puissamment évocatrices, le travail d’ambiance très fin, mais aussi parce que c’est ici, il me semble, que le style de l’auteur s’exprime avec le plus d’habileté, minutie et générosité — alors que, par exemple, on peut le sentir moins à son aise lors de la course-poursuite finale, à la narration forcément plus “resserrée”, qui lui laisse moins l’espace de se déployer.}

  1. Un dénouement sans surprise (et même un peu facile)

Peut-être parce que, justement, l’histoire fait appel à tout un background de situations similaires, le dénouement n’est pas vraiment une surprise. Je dirais même qu’il y a quelques détails surtout au niveau du temps qui passe (et connaissant la nature de “la menace”) qui arrangent bien la narration pour parvenir à la fin. Un peu facile, donc ? Je vous laisse vous faire un avis !

  1. Da cover

J’aime beaucoup la couverture, très esthétique mais je ne suis pas sûre qu’elle représente au mieux l’histoire… Au contraire, elle serait parfaite pour Stranger Things : 3 amis à vélo sur “l’endroit”, et un “envers” où la lune et un des ados ont disparu…! Pour Colorado Train on aurait bien vu… un train, nom ?

POUR CONCLURE

Colorado Train est un excellent premier roman au rythme bien maîtrisé, très proche de l’univers ado de son lectorat. L’ambiance est mystérieuse comme on l’aime, pleine de suspens avec un soupçon de fantastique suggéré et de personnages authentiques. Mention spéciale à la terrible “menace”, si bien écrite et prête à vous chatouiller les orteils pendant votre sommeil…

Bonne lecture,

Bloup

12 réflexions sur “Colorado train, de Thibault Vermot (Sarbacane, 2017)

  1. Merci pour cet article ! Ce roman m’a fait faire pipi dans ma culotte. Ça met quand même bien la frousse et ça sent la chair fraîche à la Hannibal lecter (ce film est dans mon top 5 des trucs qui m’ont traumatisés avec Ça, la mouche et la série V. Mais que faisaient mes parents ??!!)

    Pour ce qui est de la fin attendue, perso ça ne m’a pas gênée… Comme on dit, c’est le chemin qui compte pas la destination 😉 (bon c’est un mensonge éhonté, la destination c’est quand même ultra important ; vacances dans les îles ou vacances à Calais ?…)

    Aimé par 2 personnes

    • Merci pour ce commentaire ! C’est vrai, c’est une jolie façon de résumer la fin : il y a eu un super voyage pour arriver là ! 😉

      (ça dépend, Calais un jour de pluie ou Calais un jour de beau temps ? qui sait ce que Calais réserve de surprises !)

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    • Vois ça comme un challenge ,)
      C’est vrai que certains passages peuvent faire trembler les flipettes que nous sommes, mais rien d’insurmontable : le livre est beaucoup plus que cela 😉

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  2. Pingback: Gazette Dodécadente #11 : avril 2018 | Le Monde Fantasyque

  3. J’avais repéré ce livre à sa sortie à cause de sa couverture, mais je n’en savais pas plus. Maintenant, avec un tel avis, il me fait bien envie 🙂 Même si le résumé me fait un peu penser à super 8… J’espère que sa fin sera moins absurde 😉

    Aimé par 1 personne

    • Alors je n’ai pas la fin de Super 8 en tête, mais effectivement, au niveau de l’ambiance « bande de copains + mystère + US » ça peut y faire penser ! Après, sur la question de l’absurdité de la fin… Il faut le lire pour le savoir ! 😉

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