Saga, de Brian K. Vaughan et Fiona Staples (2012-…)

Au salon du livre de Paris qui se tenait le mois dernier, je me suis laissé tenter par plusieurs bande-dessinées dont l’ovni Saga que plusieurs libraires m’avaient conseillé.

Sept tomes de cette série de comics américains sont déjà parus, dont six on été traduits en français. Je n’ai lu que les trois premiers pour l’instant, mais je suis assez sûre de mon coup de cœur…

…donc c’est parti pour une recommandation sans réserve de :

 

Mais pourquoi donc ai-je craqué si complètement ?

  • C’est terriblement original.

Saga est un « space-opéra épique », nous dit Wikipédia. En quoi Wikipédia est à côté de la plaque comme rarement, car le propre de cette Saga, sa singularité, ce qui fait tout son charme, c’est que, justement, elle n’est pas épique. C’est un space-opéra intimiste, qui retourne comme un gant tous les codes du genre en concentrant son intrigue sur un couple de personnages pacifistes qui fuit le conflit galactique à l’arrière-plan.

On retrouve l’invention propre aux space-operas dans la richesse des races extra-terrestres, notamment, mais on ne retrouvera pas la tension guerrière et les combats spatiaux d’un Battlestar Galactica (très bonne série, en passant) : Saga s’articule autour d’un couple qui s’aime, pas de deux armées qui s’affrontent.

Quand il y a des traits sur les images, c’est dû à la qualité discutable de mon maudit scanner, pas à l’impression de la BD.

  • Le scénario est d’un optimisme et d’une générosité détonants.

Ce n’est pas une histoire de guerre. C’est un peu l’histoire de « l’opposé de la guerre », comme le soutient l’un des personnages, selon qui l’opposé de la guerre, ce n’est pas la paix — non, ça c’est juste une pause entre deux guerres. Mini-spoiler :

On suit des protagonistes improbables, bancals et géniaux, qui sont à la recherche de leur propre bonheur — une famille, l’amour, le plaisir, l’art — et qui se font constamment emmerder par cette guerre totale à laquelle tout le monde veut les ramener de force.

Aussi, si c’est bien la guerre qui relie tous les personnages entre eux et alimente le moteur de l’intrigue (poussant certains personnages à en poursuivre d’autres, notamment), elle n’est que le prétexte à l’esquisse d’une histoire beaucoup plus jolie et dingue. Et cette histoire, a priori (je n’ai lu que trois tomes et la série est encore en cours d’écriture), c’est celle de la vie. Autrement dit : une quête personnelle pour devenir soi-même, découvrir ce qui nous rend heureux.

Or, quête identitaire = moi happy. J’aime énormément les quêtes identitaires, et ce n’est probablement pas un hasard si ce fil traverse de nombreux romans jeunesse, mon rayon de prédilection. La jeunesse, c’est quand on se cherche. C’est beaucoup de tests et d’aventures, de ratés et de découvertes pour se trouver. L’âge adulte, c’est quand on croit s’être trouvé, et qu’on arrête de se chercher (jusqu’à la crise de la quarantaine). C’est cet aspect de Saga qui me donne envie de parler de la série sur ce blog jeunesse.

Alors attention —

… il y a des aperçus de sexe graphique et globalement une violence assez marquée. Donc grosso modo c’est une BD que je recommande plutôt aux jeunes adultes (15+, je dis ça pour les parents qui me liraient), même si je laisse chacun juge de sa propre maturité (ça c’est pour les ados qui me liraient). Puisque c’est toujours le lecteur qui est le mieux à même de savoir ce qu’il est capable de lire.

  • Visuellement, ça claque sévère.

Les dessins, s’ils ont le léger défaut d’une colorisation lisse (c’est le côté dessin-par-ordinateur qui me freine un peu ici), sont hyper costauds en termes de traits, de mouvements, d’enchaînements case-à-case.

Ici, la composition est remarquable. Notez qu’il n’y a *aucun* trait de mouvement. Tout est superbement suggéré, par le S qui se dessine depuis la pointe du fusil d’Alana jusqu’a la main de Marko, en passant bien sûr par les gouttelettes de sang, qui permettent d’économiser plusieurs cases. (Le geste de frapper le prisonnier n’est pas anticipé dans les cases précédentes, celle-ci suffit.)

L’univers des auteurs (Brian K. Vaughan au texte, Fiona Staples au dessin) regorge d’idées graphiques et d’inventions fantastico-psychédéliques.

La dernière image me hante.

  • Il y a de la poésie.

Bien sûr, comme on est en bande-dessinée, la poésie est avant tout visuelle, et dans Saga, elle a un petit goût de Miyazaki.

  

Mais, par ailleurs, la poésie s’invite dans le scénario parfois aux moments les plus inattendus. Par exemple, un sortilège, pour être lancé, a besoin d’un ingrédient spécial, comme un secret ou des flocons de neige. (Je craque sur ce genre de choses !)

Et, dans l’univers de Saga, il existe une race appelée le Chat Sincère (un Sphynx format panthère) dont la particularité est qu’il respecte toujours les règles, en commençant par la première de toute, la Vérité. Ce chat n’a qu’un seul mot à son vocabulaire et l’intercalera dans vos conversations dès qu’il détectera un…

Ce qui peut bien sûr être légèrement pénible au quotidien.

Je crois que ce chat est mon personnage préféré.

  • C’est bourré d’humour, tant visuel que narratif.

En termes d’humour visuel, voir ci-dessous le genre de planche qui n’existe pas dans les space-opéra épiques (nespa Wiki) : le Prince guerrier qui fait le plein d’essence.

Et les dialogues sont quant à eux d’un allant et d’un dynamisme qui rend la lecture délicieuse. Cela se caractérise par des phylactères construits sur du lol.

Et globalement, c’est tout simplement bien écrit. Le texte est un aspect sur lequel on se concentre moins dans la bande-dessinée car le style, la personnalité de l’ouvrage se ressentiront en premier lieu dans les dessins. Mais un bon texte, ce n’est évidemment pas anodin ! Ici, c’est une raison de plus de se régaler.

EN CONCLUSION

Super coup de cœur pour Saga, je vous invite à découvrir cette pépite. Ne serait-ce que pour les héros inhabituels : un couple de parias venant de donner naissance à une enfant bâtarde interespèces, bravant tous les interdits. On se trimballe donc un marmot qu’il faut changer et allaiter.

« Space-opéra épique », non mais, je ris.

Such épique. Much classe. Very Star Wars.

Bonne lecture !

Lupiot

Lupiot Allez Vous Faire Lire

 

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16 réflexions sur “Saga, de Brian K. Vaughan et Fiona Staples (2012-…)

  1. Un billet qui m’a bien fait rire, comme d’ab !
    J’ai déjà lu à plusieurs reprises des commentaires très favorables sur cette bd, mais n’étant pas spécialement fan de comics (en fait, je n’y connais rien !) je me disais « oui, peut-être un jour… »
    Mais là, les commentaires + les nombreuses planches présentées, ça m’a vraiment donné envie !

    Aimé par 1 personne

    • La plupart des comics dits « classiques » sont difficile d’accès car on ne sait pas par quel bout les prendre (quel Batman / Spiderman ??) mais des sagas récentes valent le coup de découvrir ce genre qui peut être d’une richesse étonnante.
      Dans le genre populaire et globalement très bon, les Comics Walking Dead sont cool aussi, et ce sont probablement eux qu’on doit remercier pour avoir fait découvrir le genre à plein de néophytes. Je ne m’y connais pas des masses non plus (et, surtout, la branche des comics par laquelle je suis attirée est très très réduite ^^).
      J’espère que SAGA te plaira, cette série est vraiment à part ❤

      J’aime

  2. J’adore tellement cette BD, c’est ma préférée du scénariste je pense (et les dessins sont superbes, même si comme toi je suis moins fan de la colorisation).

    Les dialogues sont ultra bien écrits, avec plein de jeux de mots qui ont du être galères à traduire en français, son seul défaut c’est que la parution est en cours et que l’attente entre deux tomes est INSUPPORTABLE.
    (Les deux cases entre le Chat et la petite fille sont tellement… parfaites.)

    Merci pour cet article, j’adore vraiment la manière dont tu parles des livres ♥
    (En attendant je suis censée recevoir le tome 7 cette semaine et c’est. trop. bien.)

    Aimé par 1 personne

    • Je t’avoue que je suis bien contente de découvrir la série alors qu’il y a déjà plusieurs tomes de sortis car, au rythme d’1 à 2 par an, aaaaargh, l’attente sera douloureuse. (Mais bon en vrai, ils ont un rythme de production assez impressionnant car ils publient un chapitre par mois (au format fascicule comics j’imagine), on voit le découpage en chapitres dans les volumes (et les super planches pleine page qui les ouvrent, d’ailleurs.).
      Je t’envie pour le tome 7 !!

      Et oui je suis très impressionnée par la traduction aussi : non seulement c’est bien écrit en VO mais c’est super bien traduit, très dynamique, jamais bizarre. (À part éventuellement le « patron ! » d’Izabel au lieu de « Boss ! » qui est moins naturel xD).

      Bref oui, amour total sur cette BD. Au début je pensais que la colorisation me gênerait, mais c’est si bien compensé par la qualité du dessins qu’au bout de quelques pages je n’y fais plus gaffe du tout.

      Merci pour ton message !!

      Aimé par 1 personne

  3. Encore une chronique brillante ! Et celle-ci me confirme (comme si j’avais encore des doutes !) que je fais bien de te suivre si assidûment parce que t’as vraiment de bons goûts (je ne compte plus le nombre de coup de cœur en commun) et c’est quand même hyper important parce que ça veut dire que je peux aussi te faire confiance quand tu recommandes des livres que je n’ai pas encore découvert. Et puis, de toute façon à chaque fois tes chroniques son très bien argumentées, bien écrites et drôles et … et merde c’est PARFAIT ! ça m’énerve ça ! (ouais ouais dès fois ça m’énerve, mais la plupart du temps ça m’inspire quand même…)
    Sinon ce que je voulais dire, en fait, c’est que Saga ça envoie du pâté et tu l’as très bien démontré 😀

    Aimé par 1 personne

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