Le premier qui pleure a perdu, de Sherman Alexie (2008)

Article par Bloup

Il est de ces livres qui attirent le regard. Il suffit parfois d’un rien : pour moi, il n’a fallu que le petit jouet d’Amérindien bleu sur fond noir pour que je tende la main vers l’ouvrage et lise la 4e de couverture…

Junior est un Indien de la réserve Spokane (État de Washington, US) et il nous livre ici son journal intime. Depuis toujours souffre-douleur de la réserve, il a l’opportunité d’aller au lycée de Reardan, la ville voisine… Et ainsi de devenir un « indien à temps partiel »*. Mais, si cela semble être une véritable chance pour lui, il n’en est qu’au début de la bataille pour se faire accepter par les « blancs » d’une part, et se faire pardonner des siens d’autre part…

the-absolutely-true-diary-of-a-part-time-indian-sherman-alexie* Le titre original est The absolutely true diary of a part-time indian. Je ne sais pas pourquoi ils n’ont pas traduit cela en français – ils voulaient sans doute un effet plus dramatique ou moins « girly » attaché à l’idée du journal intime. Néanmoins, le titre français marche parfaitement bien : cynique et puissant, on pourrait croire que Junior lui-même l’a proposé. De plus, l’expression « le premier qui… » implique non seulement Junior mais aussi de chacun des Indiens, tous dans le même bateau et dont Junior se fait le porte-parole.

Récit à la première personne qui nous est directement adressé, ce journal intime témoigne d’une véritable fureur. Fureur d’exister, de faire entendre sa voix.

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Malgré l’humour omniprésent de Junior, le sujet traité est délicat et assez peu connu en France : la vie des Amérindiens dans les réserves. Ajoutons à cela le racisme réciproque, la brutalité d’adolescents sans repères et les ravages de l’alcool, et vous obtenez ce petit trésor.

Ce petit trésor, oui, je n’y vais pas de main morte. Souvent très drôle, inévitablement émouvant (j’ai versé ma petite larme, je ne vous dirai pas quand), narrateur très attachant, langage cru et hyper réaliste de la vie et relations des adolescents (avec les parents, les amitiés entre eux, les amours, les rêves et compagnie)… et qui nous encourage à réfléchir sur l’humanité et la manière dont on respecte réellement les différences. Une pépite.

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Le coup de génie a été d’aborder le contexte très particulier de la vie indienne aux États-Unis* en faisant parler et dessiner un ado somme toute comme les autres, qui s’intéresse aux mêmes choses que tous les ados. On se retrouve alors plongés dans un récit initiatique tout à fait original à travers une voix que l’on n’a pas l’habitude d’entendre**.

Le témoignage de toute une population sert donc d’arrière-plan au récit de Junior, dont on ressent le cynisme et l’autodérision à la fois à travers le texte et l’image :

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Comme dans un véritable journal, Junior « dessine » presque autant qu’il écrit.

Plusieurs relations entre personnages sont particulièrement intéressantes, par exemple l’amitié de Junior et Rowdy, son meilleur ami de la réserve (le changement de lycée de Junior n’est évidemment pas sans incidence sur celle-ci).

La seule petite imperfection, peut-être, tient au fait de vouloir représenter tous les travers de la vie adolescente : certains personnages peuvent paraître un peu caricaturaux (surtout chez « les blancs », notamment Penelope). Mais puisque ça fonctionne, je dirais que c’est un mal pour un bien.

Allez, je ne résiste pas à vous mettre un petit extrait :

« J’aurais peut-être pu abandonner complètement l’école. J’aurais pu vivre en ermite dans les bois.
Comme un véritable Indien.
Bien sûr, vu que j’étais allergique à presque toutes les plantes poussant sur terre, j’aurais été un Indien avec un sacré rhume des foins. »

Je classe donc ce récit dans mes coups de cœur de l’année, bien que le livre date de 2008 pour la VF. Il est « vraiment excellent, poignant et hilarant, réconfortant et sincère, sage et intelligent… » — les mots de Neil Gaiman, pas les miens. Et je compte bien lire d’autres œuvres de Sherman Alexie pour continuer mon émerveillement littéraire.

 

Bonne lecture,

Bloup

Bloup tortue chroniqueur Allez Vous Faire Lire


* L’auteur lui-même étant amérindien, il sait de quoi il parle et ça se sent. On évite ainsi un faux exotisme qui aurait pu être malvenu et fausser l’authenticité.

** Si vous pensiez que les Indiens d’Amérique vivent heureux dans des tipis et chantent au détour de la rivière, préparez-vous à la désillusion. Le livre montre déjà une infime partie de la complexité historique et politique de la vie actuelle dans les réserves, mais aussi d’une spiritualité ancestrale qui se perd peu à peu. Pourtant, la culture (respect de la nature pour ne citer qu’un point) et les récits sont d’une grande richesse (morale, poétique…) malheureusement trop méconnue. (Il y a ce livre de légendes génial, si vous êtes amateur !)
Pour son témoignage brut de la vie indienne et de la vie adolescente plus généralement, ce roman a quand même réussi à grimper sur la liste des romans les plus bannis aux USA. (Les américains ou l’art de l’offense chronique.)

À noter que l’une des premières éditions s’affichait sous ces couleurs gaies :

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Très jolie couverture mais sans doute trop jeunesse par rapport aux thèmes évoqués, plus adolescents et parfois rudes. (Nous, on trouve que le jaune, surtout associé aux couleurs primaires, a une connotation très enfance et même très gaie, mais apparemment le jaune est une couleur qui symbolise à la fois l’amitié et… la trahison, ce qui serait très pertinent pour ce roman !)

PS : Dans un univers qui mêle vie moderne et héritage amérindien, courez aussi lire Les rêves rouges, de Jean-François Chabas.

9 réflexions sur “Le premier qui pleure a perdu, de Sherman Alexie (2008)

  1. Moi je sais à quel passage tu as versé ta petite larme, car j’en ai versé une aussi : c’est à la mort du chien.
    Quel excellent livre en effet que celui-ci, quelle arme que l’humour ici manié avec habileté.

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  2. C’est un livre qui m’avait pas mal marquée ! Personnellement, j’avais décidé de le lire parce qu’il faisait parti des livres souvent contesté et parfois censuré dans les écoles aux Etats Unis, et ça avait suffit à attiser ma curiosité (alors même que les critiques sur ce roman étaient excellentes).

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  3. Ce livre est géniale.Ont rigole on pleure et ont cherché pourquoi il y a autant de racisme d’injustice et de mal.Quand j’ai lu la première phrase j’ai rigoler quand j’ai lu la dèrnière j’ai pleuré 😄😭

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