Hunger Games, Red Rising…pourquoi tous ces noms latins dans la dystopie

Vous aimez les noms ? Vous aimez la littérature ? À la bonne heure !

Cet article thématique concerne l’usage fort prononcé des noms latins dans les dystopies modernes.

En effet, il ne vous aura pas échappé que dans les Hunger Games, le Président s’appelle Coriolanus, et que les pages de la trilogie sont émaillées de noms en –us comme une pelouse de banlieue chic est émaillée de pâquerettes.

 

On peut se dire que c’est tout à fait ponctuel et singulier. Sauf que les noms latins antiques se multiplient comme des petits pains dans le rayon. Il y en a beaucoup ! La question qui, dès lors, vous taraude est : Pourquoi ?

Quelle est cette obsession avec le latin dans la dystopie ? Est-ce que c’est juste pour faire classe ?

Gilbert approuve.

Adorable dictateur en velours rouge, classe, chic, swag, idée cadeau, 15,99$

Peut-être. C’est plutôt élégant de s’appeler Coriolanus — ça change de Jack*. Mais c’est surtout symboliquement mille fois plus intéressant.

* Voir l’article sur Pourquoi faut-il arrêter d’appeler ses personnages de romans par les prénoms les plus populaires IRL.

#1. La symbolique de la tyrannie et de la décadence romaines

Même quand l’univers n’a rien à voir avec l’Antiquité (contrairement à Hunger Games ou Red Rising, qui sont construits en référence à l’empire romain), la dystopie a tendance à utiliser des noms antiques.

Par exemple, dans Méto, d’Yves Grevet, l’effroyable maison où sont enfermés les gamins est tenue par des « Césars », tous les enfants se voient affublés de noms comme Claudius ou Mamercus** (irk), et celui qui se révélera le grand instigateur du système, si mes souvenirs sont bons, s’appelle carrément Jove (= Jupiter). En plus ponctuel, on trouvera la mention de l’inquiétant Colosseum (sorte de cirque de gladiateurs) dans Les chemins de poussière, de Moira Young, ou dans Les larmes de Gaïa, les « Novi Electi », dont le héros Morphée, vivant dans le luxe et l’opulence.

 

Ces noms sont un signal pour nous inciter à chercher la ressemblance entre l’histoire que nous lisons, et la Rome antique que nous connaissons, avec son lot d’empereurs fou-furieux et sa célèbre décadence. Une façon un peu facile, mais toujours efficace, de nous glisser « alerte, tyran ! » au fil du texte.

clin-doeil-appuye-wink

** Mamercus : prénom latin qui a semble-t-til donné « Mamert » en français, si vous êtes en panne d’idée pour votre progéniture.

#2. L’opposition langue de la civilisation VS langue de la terre

Ok, le rôle clin d’œil des noms latins, il est assez évident. Mais dans certaines dystopies, notamment les deux qui me servent pour cette étude, la métaphore antique est élevée au rang de système. C’est un clin d’œil mettons, légèrement appuyé.

  • hunger gamesDans Hunger Game, on a Panem, le nom du pays (clin d’œil à la locution Panem et circences, « Du pain et des jeux »), le Capitole, la capitale (principale colline de Rome, symbole de pouvoir) le vocabulaire et le principe de tesserae (pour obtenir du grain) ainsi que le système d’enrôlement des Pacificateurs (inspiré du fonctionnement de l’armée romaine), et bien sûr, les jeux du cirque. Liste non exhaustive.
  • red-rising-pierce brown hachette dystopie allez vous faire lireDans Red Rising, on a de grandes familles qui gravitent autour du pouvoir (Augustus, Bellona…), et le chef du gouvernement qui s’appelle littéralement Nero (Néron) ; on a tous les dieux du panthéon romain, de Minerve à Pluton, et on a une réécriture ado de la guerre de Troie. Liste non exhaustive.

Dans ces 2 sagas, on a également un « jeu » de gladiateurs et un processus de mise à mort expéditif.

emperor-nero-thumb-down

Bref, la métaphore antique version systémique. Les noms des personnages, dès lors, sont des rouages de ce système.

  • Les noms latins sont ceux de l’élite, des personnages qui sont le produit de ce système — le nom est comme un vernis confirmant sa perfection.
    • Dans Hunger Games : Cato, Brutus, Caesar, Fulvia, Cecelia, Enobaria…
    • Dans Red Rising : Cassius, Pax, Titus, Antonia, Cassandra, Virginia…
  • La masse plébéienne écrasée par le système, en revanche, en est rejetée — ce vernis lui est refusé — et est ramenée à la langue vernaculaire, dans un premier temps, et à sa position d’esclave, dans un second. C’est pourquoi les personnages se trouvant en bas de l’échelle sociale, ont des noms anglo-saxons ramenant à la terre, à la nature.
    • katniss-flower-plant

      Katniss (regardez les feuilles en forme de têtes de flèches…)

      Dans Hunger Games : Katniss (sagittaire, plante), Primrose (première rose, fleur), Posy (petit bouquet), Rue (rue des jardins, fleur), Thresh (threshing = séparation des grains), Gale (grand vent), Rory (roux, rouge, feu), etc.

    • Dans Red Rising : Darrow (chêne), Dale (vallée, vallon), Kieran (noir, terre) et plein de surnoms comme Weed (herbe) ou Pebble (petit caillou), etc.

J’aimerais souligner de façon accessoire mais intéressante que dans les deux cas (Katniss et Darrow), les héros sont issus de communautés de mineurs, ce qui les situe encore plus près de la terre (et bien sûr, symboliquement encore plus loin de l’élite).

district-12-coal-miners-mineurs-hunger-games

#3. L’opposition langue formelle VS familière

harry-potter-and-historyÀ cette première couche d’interprétation des noms, on peut en ajouter une seconde, que j’emprunte à ce (génial) extrait de l’essai Harry Potter and History.

Un adage de linguiste dit des anglophones qu’ils « vont au travail en latin et rentrent à la maison en anglo-saxon », pourquoi ? Car en anglais :

  1. la majorité du vocabulaire formel est issu du français (latin)decide, supervisor, colleague, telephone — depuis l’invasion normande (Guillaume le Conquérant, si vous avez raté cet épisode),guillaume-le-conquerant
  2. quand la majorité du vocabulaire du foyer, informel, familial, est issu de l’anglo-saxon (germanique) — fire, home, earth, love.

En plus de la symbolique antique de la Rome décadente, donc, ces choix de noms opposant le latin en –us à l’anglais vernaculaire sont hyper significatifs dans un système où :

  1. la langue latine est celle de l’autorité, celle qui nous est imposée (celles des gouvernants et leurs minions (Coriolanus et Seneca dans Hunger Game ; Augusta et Nero dans Red Rising),
  2. tandis que la langue anglaise est celle des racines, de ce qui nous est cher, que l’envahisseur a voulu faire taire et qui s’est retrouvée confiné dans un espace réduit (celles des héros et leurs amis, Katniss dans Hunger Games, Darrow dans Red Rising).
hunger games sign

RPZ les racines.

Que dire quand les noms des opprimés n’ont rien à voir avec la langue vernaculaire ou la terre, la nature ? Hé bien, en oppositions aux noms latins, on trouve aussi souvent… des noms bibliques. La symbolique est comparable :

  • Rome contre les Juifs/Chrétiens, même dynamique du tyran ;
  • latin contre hébreu, même conquête et expansion.

lempire-romain

Et, surtout (c’est ce qui m’intéresse) les noms hébraïques, issus de la Bible, renvoient à la religion, à la sphère familiale, à l’intime, comme la langue vernaculaire. Ici, si je reprend les univers du début :

  • Dans Méto, en opposition à Claudius, Marcus, Octavius, Mamercus, etc., hors système, on a… Ève.
  • Dans Les chemins de poussières, voulant échapper au Colosseum, les héros, pauvres et peu éduqués, s’appellent… Saba (reine de Saba), Jack (Jean), Ike (diminutif d’Isaac).
  • Dans Les larmes de Gaïa, où le représentant de l’élite s’appelle Morphée (dieu grec des songes), l’héroïne issue des classes basse s’appelle… Natanaé (dérivé de Nathanaël, « don de Dieu », biblique).

En conclusion :

  1. Certes Cassius ou Antonia, ça pète la classe, mais ces noms ne sont pas arrivés dans ta dystopie par hasard ;
  2. Penser les noms de ses personnages en fonction du système social qui régit l’univers du livre, c’est vraiment du beau boulot.

david-tennant-clapping

J’espère que ce nouvel article sur le thème des noms dans la littérature vous a plu. (Il était un peu plus sérieux que les autres.) Si vous tombez sur d’autres univers proposant une dynamique similaire dans les noms des personnages je suis super curieuse de découvrir comment ça se goupille.

À bientôt pour de nouvelles découvertes,

Julia (aka Lupiot)

Lupiot


P.S. : Dimanche prochain, vous aurez non pas un nouvel article sur les noms mais une infographie sur les jeunes et la lecture, basée sur des données de l’INSEE. Le prochain article de la thématique sera pour le dimanche suivant !

P.P.S. : Et, oui, évidemment que je vais vous faire une chronique de Red Rising.


C’est par ici pour consulter tous les articles sur Les noms dans la littérature
C’est par ici pour consulter toutes les Réflexions

21 réflexions sur “Hunger Games, Red Rising…pourquoi tous ces noms latins dans la dystopie

  1. Encore un article que j’ai adoré !!
    Je trouve ça passionnant de décortiquer de cette manière – avec toujours un peu d’humour en plus – la signification des noms dans les textes : j’avais remarqué dans certains livres des noms latins, mais sans me questionner plus que ça. Là, je comprends vraiment la réflexion qu’a pu avoir l’auteur concernant les noms – et ta réflexion pour comprendre tout ça, alors bravo !!
    J’adore tes articles car on apprend plein de nouvelles choses ; je n’avais jamais su que la plante Katniss avait des feuilles en forme de pointe de flèche, ça va tellement bien, Suzanne Collins a trouvé le nom parfait pour son héroïne !
    Merci de nous avoir fait partager cette analyse des noms latins (et les noms grecs, on n’en trouve pas ?) dans les dystopies ❤

    Aimé par 1 personne

    • Merci beaucoup pour ton super commentaire !
      On trouve des noms grecs (d’ailleurs le plus souvent je dis « noms antiques » et la symbolique/le fonctionnement est relativement identique) par ex: dans les œuvres évoquées plus haut j’ai Morphée dans Les larmes de Gaïa. Mais les noms latins sont beaucoup plus fréquents. Il y a sans doute plusieurs raisons à cà : 1) ils nous sont plus familiers (on connaît mieux les noms des empereurs romains que ceux des stratèges grecs), 2) ils sont plus faciles à « reconnaître » avec leur -us, 3) ils sont issus d’une culture que l’on ressent comme plus proche de la notre, aussi le parallèle tyrannique fonctionne sans doute mieux. Il y a probablement d’autres raisons.

      Aimé par 1 personne

  2. Quand j’ai ouvert mon « Lecteur » WordPress et que j’ai vu ton article je me suis dit « oh chouette! » J’ai donc dégusté ton article en sirotant mon thé ^^ Et encore un fois j’ai adoré!!!!! Il me semble ne pas avoir lu ce livre sur ton blog et il tombe pile dans la catégorie de ton article : Une Braise sous la Cendre de Sabaa Tahir! Ce livre n’a même pas besoin de raison pour être lu car il est génial, mais l’auteure utilise beaucoup d’éléments des castes romaines et notamment tout les système des gens (famille romaines, souvent plus politiques que de lignée). Par Exemple Elias fait partie de la gens Veturius. Et globalement tous les prénoms sont très originaux. D’ailleurs je viens de réaliser que le prénom d’Helen n’est pas innocent ^^ Pareil pour Marcus =D

    Aimé par 1 personne

      • En fait j’ai utilisé ce que je connaissais, et plus particulièrement ceux que j’avais dans ma bibliothèque (cf. ceux que je cite dans l’article, il y en a une dizaine environ je crois). Après si tu cherches des dystopies par thématiques je t’invite à jeter un œil à la saga sur la dystopie que j’ai publiée en mars dernier (partie 2, je crois ??) où j’évoque plein de thèmes récurrents et des romans dystopiques qui les emploient.

        Ici, pour le latin, mes mastodontes sont clairement Hunger Games et Red Rising, figures de proue d’un mouvement généralisé (comme on s’en rend compte assez vite si on lit pas mal de dystopie) qui eux, ont le grand avantage/intérêt d’avoir érigé l’usage du latin en outil symbolique systémique.
        Éclate-toi dans cette branche !! J’y ai été (et y suis toujours, côté pro) comme un poisson dans l’eau ^w^

        Aimé par 1 personne

    • Merci merci !
      Une Braise Sous la Cendre : j’en ai lu des chroniques dithyrambiques et d’autres à l’inverse le descendant en flammes, et des deux côtés j’ai trouvé des arguments qui me parlaient, aussi je ne sais absolument pas quoi penser de cette dystopico-fantasy (que je n’ai pas lue, donc, mais j’ai hésité plusieurs fois…elle m’intrigue un peu…)
      Ahhh, mais du coup je suis d’autant plus intéressée. La dynamique symbolique autour de l’Antiquité (surtout via la langue) est très intéressante, surtout par sa récurrence dans ce rayon.
      (Après, tous les romans ne seront pas aussi systémiques que Hunger Games et Red Rising qui me semblent avoir mené une vraie réflexion sur l’usage de la langue et des noms.)
      Ahah, Helen, dans un roman qui fait de gros clins d’oeil à l’antiquité, ce n’est clairement pas innocent, non !

      Aimé par 1 personne

  3. Super intéressant comme article encore une fois !
    Surtout que je m’étais mise à la lecture d’Hunger Games après avoir vu le film justement pour voir comment était poussé la référence à la Rome antique, et j’avais été déçue. Tu lèves pas mal d’interrogation (le rapport à l’élite, les noms en rapport à la terre, c’est fou !) donc merci :).
    Je crois qu’il y a quelques petites références dans Le Combat dHiver de Mourlevat, mais c’est surtout sur les combats de gladiateurs je crois.
    Je suis preneuse aussi de bibliographie, parce que tout ça ça m’intéresse !

    (Tu sais que depuis tes articles, je suis en train de renommer des personnages secondaires… Parce qu’autant j’en avais bien pensé plusieurs, autant les autres je n’étais pas encore satisfaite… Donc voilààààà :D)

    Aimé par 1 personne

    • Le Combat d’Hiver : j’étais persuadée qu’il y avait un truc avec une arène et des gladiateurs mais je n’ai pas développé car IMPOSSIBLE de remettre la main dessus, (j’ai dû le prêter ou l’offrir, il faut que je le rachète).
      Merci !!
      J’ai personnellement adoré les films, que j’ai trouvé meilleurs que les livres pour de nombreuses raisons (alors que je trouve les livres plutôt bons aussi) : les films vont plus loin dans la construction du monde, et nous permettent (en décollant des basques de Katniss) d’avoir une réflexion hyper cool sur le totalitarisme et son usage des médias, notamment. Bref pas trop de rapport avec la choucroute mais je voulais le dire.
      Oui la symbolique des langues vernaculaires + prénoms rattachés à la nature et à la terre + mode de vie de ces masses opprimées (des mineurs) est hallucinante une fois qu’on a mis le doigt dessus.
      Cf. ma réponse à La Tête En Claire pour la biographie, j’ai pas tellement mieux.
      Des bisous

      J’aime

  4. Salut ! Encore un article très intéressant dis donc ! 🙂 J’adore quand les noms des personnages ont des significations.
    La première série sur laquelle je m’en suis vraiment rendu compte, c’était sur Harry Potter, d’autant plus que je commençais les cours de latin du collège, j’étais trop fière de repérer tous les « Albus » ou « Minerva » 😀 J’aime beaucoup chercher le lien que ça peut avoir avec le personnage, son caractère, et parfois comme tu dis, c’est même un indice caché. Je n’avais pas poussé l’étude à ce point-là, alors merci beaucoup pour cet article ! 🙂

    Aimé par 1 personne

  5. Heu, bon, ok, j’avoue : la question de savoir pourquoi il y avait des noms latins dans les dystopies ne me taraudait pas plus que ça !! En fait, je n’avais pas vraiment creusé la question et je pensais juste que c’était pour rappeler l’empire Romain (comme Hunger games avec les jeux…) Pour les autres bouquins, j’avoue que je ne m’étais pas posé la question du tout !!
    Mamert ? Vraiment ? ça existe ? Et il y a des gens qui sont assez sadiques pour appeler leur progéniture comme ça ?? Je plaisante hein, on a le droit de ne pas avoir tous les mêmes goûts… (Mais quand même, Mamert ? J’ai rien dit, j’ai rien dit…)
    Merci pour vos articles, toujours très intéressants et que je lis avec beaucoup de plaisir !

    Aimé par 1 personne

  6. Merci pour ce blog. Je suis tombée dessus presque par hasard.. et je suis aussi tombée sur les fesses à lire tant de choses intéressantes et intelligentes.. donc oui, là, merci.

    J’aime

Laisser un commentaire