Dans le désordre, de Marion Brunet (2016)

Dans le désordre, de Marion Brunet, est l’un de ces rares romans jeunesse qui m’aura emportée hors du monde pour m’y ramener plus ancrée, présente, consciente.

dans le desordre marion brunetL’histoire s’ouvre sur une scène de guerre, non, de manifestation. Alors que la foule s’agite, que les forces de l’ordre commencent à forcer l’ordre, Jeanne aperçoit Basile au creux de la houle. Basile et ses mains qui dansent, son air de voler au-dessus de tout. La manif dégénère, certains sont embarqués, d’autres un peu cabossés, et Jeanne, tremblante, se retrouve avec quelques autres mordus de la vie à débriefer autour d’un café.
En moins de temps qu’il n’en faut pour scander El pueblo unido jamás será vencido, une petite bande se crée, composée des étudiants rêveurs que Jeanne a rencontrés à la manif, et de la clique égarée du volubile Basile, patchwork social de révoltés à divers degrés d’incubation anarchique. Le patchwork s’installe dans un lieu désaffecté du centre-ville, le palace de leur vie, entre canapés râpés, bières, vinyles et graffitis.fight club freedom gifIl y aura de l’amour, évidemment. Beaucoup d’amour. Mais il y aura aussi pas mal d’égratignures parce que les étreintes avec le bitume sont salées, et faut pas s’étonner de manger des gravillons quand on se frotte de trop près à la Société.

Et à la fin ça donne quoi ? Ben, ça donne ce sentiment d’égarement étrange qu’on a en sortant d’une salle de ciné pour constater qu’il fait encore jour dehors. Quoi, le monde n’a pas bougé ? Ce souffle puissant qui nous porte semble incongru, une fois de retour dans le monde réel.

Il m’aura fallu le temps de digérer cette lecture pour m’atteler à sa critique. Pourquoi ? Parce qu’à la fin de ce roman, l’estomac en suspension, les talons touchant à peine de béton, la tête frôlant le plafond, et les yeux sur l’horizon, le monde me semblait à la fois trop grand et trop petit.

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C’est que, Dans le désordre, pour la faire courte, c’est un chant de guerre. 

Il y a différentes façons d’entendre un chant de guerre :

  1. on peut sentir notre sang bouillonner, devant cet appel à prendre les armes ;
  2. on peut sentir nos poumons se remplir d’oxygène, devant la marche de la liberté ;
  3. on peut sentir notre cœur s’élever, devant la beauté du geste.

La première réussite de ce roman, et la plus belle, c’est de nous laisser choisir comment entendre ce chant. L’auteur est assez délicate pour cela, elle laisse la bride lâche au lecteur. Alors que l’on traite de sujets socio-économiques sur lesquels tout le monde et sa maman a une opinion, alors que les personnages raisonnent en terme de combat, alors qu’ils se prennent des coups terribles… ce n’est pas, pour autant, un appel à prendre les armes.
Car il y a beaucoup de légèreté dans l’expérience de Jeanne. C’est aussi l’aventure d’une ado qui construit sa cabane dans les bois.

La deuxième réussite de ce roman, c’est qu’il est d’une finesse Jeanne et ses copains sont-ils de sales bobos blancs privilégiés qui jouent à vivre comme des pauvres ? Sont-ils des révolutionnaires dans l’âme devant s’accommoder d’une société qui ne les laisse vivre que dans les brèches ? Les autres gens, ceux qui acceptent la société, sont-ils faibles, peut-on leur en vouloir, ou est-ce absurde ? On ne sait pas. On n’est pas là pour te le dire. À la limite, on est là pour te faire réfléchir. Là-dessus, les scènes familiales de Marc, le plus engagé, le plus anarchique de la bande, sont très bien cousues…

La troisième et, finalement, la terrible réussite de ce roman, c’est son style. Emporté, doux, brûlant, explosif — et pourtant, n’ayez pas peur de ces qualificatifs, car c’est très équilibré. La plume de Marion Brunet est à son aise dans les scènes d’action imagées et violentes, mais aussi dans la sobriété tendre des scènes intimes.

En un mot :johnny-elle-est-terrible

Ok, un dernier plus, mon péché mignon perso. La caractérisation des personnages, avec leurs travers et leurs saveurs esquissées en un trait, est so perfect. C’est particulièrement frappant chez le père de Jeanne, que l’on voit à peine et qui a pourtant une vraie présence, réconfortante, et une histoire unique.

Côté moins, alors ? Chais pas, mais la sensation d’inconfort, vous savez, celle qu’on a en sortant du ciné, je me la traîne un peu. Je crois que c’est la fin qui me chahute. Le côté la vie continue, et même la lucha continua, nous permet de refermer le livre, mais wow. C’est la fin la moins cathartique du monde, vous allez bien garder votre angst dans le plexus.stitch-book-sad

Mais bien sûr que je vous recommande ce roman, bande de cornichons.

Cela fait six titres de la collection Exprim’ que je lis, et il se dégage décidément une identité forte de cette collection : des textes personnels et sociaux, des histoires de jeunes qui se cognent dans l’existence et n’hésitent pas à rendre la tatane. J’aime bien ça.

Bonne lecture.

Lupiot

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Dans les désordre, de Marion Brunet, chez Sarbacane, 2016, 256 pages

7 réflexions sur “Dans le désordre, de Marion Brunet (2016)

  1. Mais pourquoi POURQUOI ai-je activé les mails pour savoir quand tu nous conseilles ENCORE un livre qui a l’air cool ? HEIN ? 🙂
    Exprim’ c’est chez Sarbacane ? J’ai deux albums de chez eux (L’Appel de La Forêt et Mon Papa Pirate, et je crois que je les aime bien eh eh)

    Aimé par 1 personne

    • L’éditeur dit 13 ans, mais je dirais franchement 15 (thématiques, styles, esprit, conscience économique et politique, discrète sensualité (mais présente)…) Ce n’est pas inadéquat à 13 ans, mais le lecteur a des risques d’être moins porté. À ajuster en fonction du profil of course.

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