Le Passage du Diable, d’Anne Fine (2011)

Au menu du jour, un roman gothique. J’ai lu trop de fantastique de la période romantique à l’époque du lycée, de sorte que, pendant longtemps, la seule mention d’un château gothique réveillait en moi les miasmes de l’indigestion. Ça ne fait pas si longtemps que je suis désensibilisée de mon allergie, et un roman gothique comporte toujours un petit risque de haut-le-cœur, avec moi.

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Ah mais je vais quand même récapituler les gimmicks du roman gothique, ceux-là même qui me font aimer et fuir le genre. (Je zappe volontairement les récits enchâssés de l’époque romantique.)

  • Une histoire se déroulant dans un lieu reculé
    1. …dans lequel le héros se rend par hasard, ou malgré lui ;
    2. …qui est, si possible, une vieille demeure
      1. à demi abandonnée
      2. cernée par une profonde forêt
      3. de sinistre réputation
        1. …réputation dont le héros n’est mis au courant que tardivement ;
        2. …si possible liée à des morts suspectes
          1. qui se répètent ou se ‘manifestent’ à l’arrivée du héros.

Le Passage du Diable est tout à fait de cette race-là, mais seule la moitié du roman correspond à ce schéma, ce qui est assez rafraîchissant.

passage du diable anne fine 2011 l'école des loisirsC’est l’histoire de Daniel, un jeune garçon qui a toujours vécu alité, enfermé dans sa chambre, couvé par une mère aimante, ne voyant que très peu le soleil du fait de sa condition fragile. Sa vie bascule (dès les premières pages) lorsqu’un docteur, alerté par les rumeurs, vient chez lui et le retire à sa mère, qui lui a toujours menti. Daniel n’est pas malade, n’a jamais été malade, et sa mère est envoyée à l’asile, où elle se met à crier des choses invraisemblables. Elle semble persuadée qu’il faut à tout prix protéger Daniel.

Aucune menace concrète ne pesant sur lui, Daniel est recueilli par la famille du bon docteur, n’emportant avec lui que ses maigres possessions : une unique et magnifique maison de poupée, semblable en tout point à la maison d’enfance de sa mère…

creepy doll house

Hello creepy

La première partie, qui nous semble de prime abord bien innocente, nous amène très vite à nous demander : À quel moment, comment (et pourquoi) exactement, ça va mal tourner ? Parce qu’on sait que ça va mal tourner. Et évidemment, on se méfie de cette maison de poupée légèrement louche, et, évidemment, on se doute que le passé va venir nous rattraper…
Et la mère de Daniel est-elle réellement folle ?

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C’est superbement écrit. Dans un style d’une richesse et d’une simplicité délectables, parfaitement équilibré. Old-school, mais subtile, la plume d’Anne Fine nous plonge habilement dans cet univers britannique sage et puritain du XIXe, si propice au gothique. Les événements de la vie de Daniel, ses émotions, nous sont retranscrits de façon intrigante et touchante, avec tout juste ce qu’il faut de maniérisme d’époque pour ne pas faire tiquer le jeune lecteur d’aujourd’hui, tout en l’imprégnant d’une ambiance. Un régal.

Je vous conseille donc vivement ce titre (qui a reçu le Prix Sorcières 2015*). Je tempèrerais mon avis positif par une critique symptomatique : connaissant le genre, on devine (pas tout, pas tout de suite, mais) assez vite où l’on va.

Le plus : comme Blood Family du même auteur, paru en France en 2015, c’est un roman initiatique sur le poids du passé et la nécessité de tordre le cou aux démons qui nous poursuivent, nés de tragédies familiales dont on n’est pas responsable. Donc un message cool, fort, bienveillant, que vous pouvez toutefois choisir d’ignorer, puisque ce roman est superbe même sans cela. Il a une âme et un verbe puissants.

Bonne lecture,

Lupiot

Lupiot

Le Passage du Diable, d’Anne Fine, chez L’École des Loisirs, 2014, 306 pages (À partir de 11 ans)


* Le Prix Sorcières, ça pète la classe. (Ceci était une note de bas de page très scientifique)

 

4 réflexions sur “Le Passage du Diable, d’Anne Fine (2011)

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