Ceux qui ont ouvert Coraline en s’attendant à une gentillette lecture du soir en sont sans doute revenu : voici un compte aussi décalé et terrifiant qu’Alice au pays des merveilles.*
Coraline vient d’emménager dans une étrange et vieille maison située dans un coin de l’Angleterre perpétuellement plongé dans le brouillard. C’est une mistinguette plutôt gaie et imaginative, et cette ambiance lugubre n’a, ma foi, pas de prise sur elle. Ses parents étant très occupés par leurs insignifiantes activités de grandes personnes, elle est laissée à elle-même et s’en va explorer les alentours. Du décor immédiat jusqu’à l’ennui éthéré de l’héroïne, en passant par les voisins loufoques, dont la folie douce les rend aussi sympathiques qu’inquiétants, tout contribue à susciter une attente du lecteur, qui se laisse porter avec plaisir. Jusqu’au moment où Coraline, dans ses explorations, passe une porte condamnée, et pénètre dans un appartement qui ressemble étrangement au sien, puis rencontre une maman qui ressemble étrangement à la sienne…
Dans ce monde identique pourtant, quelque chose cloche, quelque chose d’immédiatement, indiciblement menaçant. À commencer par le fait que son Autre Mère — douce, aimante, parfaite autre mère — a des boutons à la place des yeux.
Brrrrrrrrrrr.
Ce que j’adore, chez Neil Gaiman (je l’ai déjà évoqué lors de ma critique de L’Océan au bout du chemin), c’est son talent pour piocher, dans nos fantasmes enfantins, la source de peurs fondamentales. Une Maman idéale, identique à la nôtre mais meilleure en tout point, n’est-ce pas ce dont on rêve ? Sauf que si nos cauchemars nous ont appris quelque chose, c’est quand ça a l’air d’être trop beau pour être vrai, c’est sans doute que ça l’est.
Coraline est un drôle de cauchemar. Je ne dis pas qu’il va vous coller des sueurs froides, surtout si vous avez déjà vu la (très bonne) adaptation cinématographique de Henry Selick, et aussi parce que c’est l’une des œuvres les plus « jeunes » de Gaiman (destinée à des lecteurs à partir de 9 ans) mais cette promenade dans le monde-miroir-prison, et le vice sirupeux de l’Autre Mère devraient vous glacer un instant ou deux. Un délice.
Bonne lecture !
Coraline, de Neil Gaiman, chez Albin Michel, 2003, 160 pages
* Quand je dis Alice au pays des merveilles, je pense particulièrement au livre de Lewis Caroll, qui a réussi à me mettre légèrement mal à l’aise (moi et tout le monde, je crois) : il est encore plus perturbant que le dessin-animé de Walt Disney pourtant délicieusement barré (et donc assez fidèle et très réussi). (Le film de Tim Burton n’existe pas. Vous m’avez entendue.)
C’est sans aucun doute l’un de mes romans et films favoris ! On ne se lasse pas de les (re)relire et (re)revoir ! Par contre, le film n’est pas de Tim Burton mais d’Henry Selick !
Chouette chronique !
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Mea culpa moi ! Mon clavier a salement fourché, bouh, c’était vilain comme tout.
Ca faisait trois ans que je mettais Coraline (livre) sur ma liste de Noêl sans que personne veuille me l’offrir (sans doute pensait-on que j’étais bien grande pour lire ça. Les ignares) donc quand je l’ai vu dans une pioche chez Galli, j’ai regardé mon destin du coin de l’oeil et j’ai dit : c’est aujourd’hui.
Un très bon roman que je regrette de ne pas avoir lu plus tôt, notamment pour le comparer au film (je n’ai plus qu’à le revoir) : je garde un souvenir angoissé et interminable de la poursuite finale avec l’Autre Mère au corps arachnéen.
Brrrr. (bis)
Merci Anahë ! 😀
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