Ce roman est *ici, intervention préventive de mon éditeur-videur intérieur, qui repousse à coups de tatane les 25 superlatifs se bousculant à la porte de cette chronique* très bon.
ÇA TABASSE SA TATA
Cadence Sinclair passe depuis son enfance ses étés sur l’île privée de sa famille, dans le microcosme privilégié et toxique des parfaits Sinclair, tous blonds, grands, et souriants, riches et démocrates, idéalistes et opportunistes, aimants, mais venimeux. Ces étés, elle les aime, en vertu et malgré leur éloignement de la réalité. Ces étés, elle les chérit, car elle retrouve ses compères : ses cousins Johnny et Mirren, et son pas-vraiment-cousin, Gat. À eux quatre, ils forment les Menteurs. Indissociables enfants pas sages, ils se retrouvent chaque année comme si rien n’avait changé.
Mais un drame s’est produit. Cela fait deux étés que Cadence n’est pas retournée sur l’île des Sinclair, elle se sent désormais étrangère à la bande. Elle sait qu’il y a eu un accident. (Quelque chose s’est produit. Quoi ? Quelque chose de grave, sans doute. Et dans cette famille où l’on étouffe toutes les émotions, impossible de mettre le doigt dessus.) Pour la première fois depuis deux ans, Cadence va retrouver les Menteurs, et elle entend bien les mettre face à eux-mêmes.
Ce roman est un été adolescent en forme d’allumette : entièrement consumé en un craquement sublime, il ne laisse derrière lui que des débris noirs et vains, et des regrets. Mais si on ne peut rallumer les débris, ce qui est parfait avec Nous les menteurs*, c’est que l’on peut le relire, réexaminer au ralenti la naissance et l’extinction de la flamme. Et si je parle avec de si jolies métaphores, c’est pour ne rien dévoiler d’une intrigue coup de poing.
Quelques éléments concrets pour les réfractaires à la poésie : il y a de l’amour, de la psychologie, du suspense — mais ne le lisez pas comme un thriller, pitié, on se fiche de savoir si c’est le Colonel Moutarde avec le Chandelier — et une écriture, surtout, oui, une écriture ciselée, moderne et efficace, simple et rythmée. Tantôt suave, tantôt glaciale, la plume de E. Lockhart (à droite) réussit sans complexité à imposer à son récit une pesanteur immobile parfaitement raccord avec l’ambiance familiale des Sinclair.
Donc c’est bien. Je recommande.
Et bonne lecture,
Nous les menteurs, d’E. Lockhart, Gallimard Jeunesse, 2015, (env.) 300 pages***
* We Were Liars, en V.O.
** Fanart au milieu à gauche par @yadyKates sur Twitter
*** Lu en V.O., je n’ai pas encore eu l’occasion de vérifier le nombre de pages de la V.F. (Accessoirement, des personnes bien informées m’ont certifié que la traduction était excellente, croix de bois, croix de fer)