J’ai d’abord pris connaissance de ce livre via des recommandations trouvées ici et là sur Internet, je ne sais plus où, honnêtement, peut-être était-ce sur le Tumblr GoBookYourself, ou peut-être bien en consultant la liste des lauréats des prix Hugo, Locus ou Nebula. Mais j’avais ce titre en tête, « Le cirque des rêves ». Sans savoir de quoi il s’agissait, j’étais déjà à l’orée du délicieux mystère de ce roman.
L’esthétique de ce livre ma complètement attrapée : la première de couv’ est déjà chouette, mais les pages ! On a du rouge qui nous frôle le bout des doigts tout le long de la lecture. La dichotomie noir-rouge est d’autant plus plaisante qu’elle est le reflet de la communauté des « rêveurs » du roman, qui s’habille tout de noir avec une seule touche de rouge (fut-ce une étole ou une rose à la boutonnière). Mais qui sont ces rêveurs ? Reprenons.
Premiers mots :
Le cirque arrive sans crier gare. Aucune annonce ne précède sa venue, aucune affiche sur les réverbères, aucune publicité dans les journaux. Il est simplement là, alors qu’hier il ne l’était pas.
Le cirque des rêves est le projet fou et fantastique de Christophe Chandresh Lefèvre, un excentrique de la fin du XIXe, qui non content de donner des « dîners de minuit », entend créer le Cirque des Rêves, un labyrinthe de chapiteaux qui volerait de ville en ville dans le silence le plus complet et ouvrirait ses grilles à minuit, pour vous faire pénétrer dans une ambiance onirique. Ce que Chandresh ne sait pas (ne peut pas lui faire de mal (vraiment, il vaut mieux ne pas savoir)), c’est qu’il est manipulé dans l’ombre par deux personnages intrigants et à l’éthique vacillante, Mr A.H. et Mr Hector Bowen (alias Prospero l’Enchanteur).
Que trafiquent ces étranges messieurs aux étrangers mœurs, qui semblent pouvoir disparaître comme bon leur semble ? Oh, rien que passer le temps. Leur dernière trouvaille, c’est un défi. Un défi pour déterminer qui est le meilleur professeur de magie. Chacun d’entre eux a pris sous son aile un petit oiseau : Prospero a choisi sa propre fille, Célia, et Mr A.H. un orphelin des bas-fonds de Londres qui n’a même pas de nom et choisira de s’appeler Marco. Célia et Marco, sans se connaître, se voient liés et emprisonnés par une allégeance douloureuse qui ne doit prendre fin que lorsque s’achèvera le Défi.
Mais les deux apprentis ignorent en quoi consistent le défi. Ils savent seulement qu’il doit se dérouler dans le cadre du Cirque. Là, comme au cœur d’un échiquier invisible miné de chausse-trappes, ils doivent s’affronter. Le vrai défi est-il de mettre au tapis leur concurrent, ou bien de dissimuler leur usage de la magie aux yeux de tous ? Car oui, j’ai oublié de le mentionner, mais… sous couvert d’illusion et prestidigitation, Prospero, Mr A.H., Célia et Marco, pratiquent les véritables enchantements. Ceux des contes… ceux du vieux monde.
J’ai lu ce roman lentement (alors qu’il n’est pas plus long que La voix du couteau par exemple), pour le plaisir de rester chaque jour une petite heure de plus dans cet univers. Comme les visiteurs du cirque, je craignais l’heure de la fermeture, et restai flâner encore quelques minutes, pour découvrir, au coin d’un chapiteau et au coin d’une page, une petite merveille que je n’avais pas encore croisée.
Ce roman est une superbe fresque magique qui sent bon la dentelle poussiéreuse de l’époque victorienne, et en cela il m’a rappelé Jonathan Strange & Mr Norrell — bien que Le cirque des rêves soit plus uni et, je pense, beaucoup plus facile d’accès***. J’ai pris un plaisir mélancolique à lire les 50 dernières pages, qui m’ont ravie par le parachèvement inattendu, cyclique et poétique de cette histoire.
Bonne lecture,
Le cirque des rêves, d’Erin Morgenstern**, Flammarion, 2012, 500 pages
* En V.O., The Night Circus. La rédaction en a, d’après la page wiki anglophone consacrée à l’auteur, été entamée en 2005 pendant un NaNoWriMo (ce qui donne de l’espoir quand, comme moi, on participe tous les ans à ce jeu masochiste qui consiste à écrire comme un fou-furieux pendant un mois), et a donné lieu à publication en 2011, et a été traduit et édité en français en 2013 chez Flammarion.
** Erin Morgenstern est également l’artiste à créditer pour les deux illustrations ajoutées sur la droite de l’article, des cartes de tarot évoquées dans le roman. Elle a l’air drôlement chouette, cette dame. Vous pouvez retrouver ses illus sur la boutique Etsy de Phantomwise (c’est elle).
*** J’ai eu des échos de lecteurs découragés par l’apparente déliquescence de Jonathan Strange. Ce n’est pas le cas ici. En outre, c’est (comme Jonathan Strange), très bien écrit. (Et très bien traduit, par Sabine Porte).