La société entière se nourrit de plus en plus de la littérature jeunesse, comme le montre le licencing commercial de la marque « Le Petit Prince » chez Fleurus par exemple : on a des carnets, des stylos, des mallettes de jeux, des cahiers, des montres… L’univers de Saint-Exupéry, qui a touché tant de lecteurs, est devenue une marque que nombre d’acheteurs, petits et grands, se plaisent à retrouver chez eux*.
Mais on voit aussi cette imprégnation par les multiples adaptations cinématographiques que connaissent les œuvres de l’édition jeunesse. Cette année 2014, on a eu trois fables dystopiques portées à l’écran : Hunger Games 3 : L’embrasement, première partie ; Divergente, et Le Labyrinthe, mais aussi l’histoire d’amour décalée Nos étoiles contraires et pour les plus jeunes, un Astérix, Le domaine des dieux (génial) et une nouvelle adaptation du classique Le Petit Nicolas (adaptations qui n’ont jamais vraiment ni la légèreté ni l’humour acidulé des livres de Sempé). De même, Netflix a annoncé la prochaine diffusion d’une série adaptée des Désastreuses Aventures des Orphelins Baudelaire**.
Et, BIG NEWS, le Hollywood Reporter place un auteur jeunesse en tête de son classement 2014 des auteurs les plus influents, ce qui ne serait pas arrivé il y a dix ou vingt ans : J.K. Rowling, mère de Harry Potter, est en effet montée à la première place, devant Stephen King. All hail the queen !
La littérature jeunesse est de plus en plus acceptée comme composante respectable de la culture, ou du moins comme donnée avec laquelle il faille compter. Depuis le phénomène de masse Harry Potter, et la multiplication de la littérature crossover***, elle devient une référence comme une autre. On en voit l’illustration jusque dans la recherche scientifique : en effet, dans le cadre de ses recherches sur le langage et les mécaniques du cerveau, le chercheur en informatique Tom Mitchell a utilisé la lecture d’un chapitre du premier tome de Harry Potter (un chapitre choisi pour être chargé en action et émotion afin de mieux éclairer les conséquences cérébrales de la lecture). Il cherchait à évaluer les corrélations entre, d’une part, les éléments de syntaxe, le point de vue des personnages, les mouvements, les dialogues, etc., et d’autre part, les zones du cerveaux activées.
La région qui s’active lorsque nous traitons le point de vue d’un personnage, notamment, est la même que celle dont nous usons au quotidien pour percer les intentions cachées et non-dits. La région liée à la mémoire verbale quant à elle, est celle qui s’active lorsque le lecteur éprouve de la peine, et semblerait en outre plus développée chez les grands lecteurs****.
Ainsi, la lecture dès le l’âge le plus tendre augmenterait les capacités du jeune lecteur à percevoir les émotions ? Si ce n’est pas là le propos de l’étude menée par Mitchell (qui s’attache à percer quelques uns des mystères physiologiques liés à l’activité de la lecture), c’est en revanche le genre d’indices qui portent à considérer la lecture comme le terreau d’une meilleure intelligence émotionnelle.
Alors… bonne lecture 🙂
* Quoi qu’on puisse en penser : je crois que cela fait mal eu coeur de certains. Mais Le petit prince est une oeuvre que nous nous sommes appropriée et, justement, trouver ici et là le rappel des aquarelles de notre enfance de même que les phrases qui ont porté notre imaginaire ne me semble pas, en soi, un mal. Même si oui, avec un simple stylos aux couleurs du Petit Prince, l’essentiel (de l’oeuvre) va rester invisible pour les yeux.
** Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire, de Daniel Handler aka Lemony Snicket (Nathan 1999-2006)
*** La littérature crossover est un terme désignant ces littératures dont le public est à la fois la jeunesse et les adultes. Typiquement : Harry Potter, Le Petit Prince.
**** La définition de « grand lecteur », froide comme un carrelage de salle de bain à ciel ouvert sur la Sibérie, se fonde sur le nombre de livres lus par an. Elle varie selon les sondeurs, le seuil se plaçant à 20, 24, ou 25 livres lus par an.
(Ce que je lis en deux mois, AH AH !)